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Les appareils “d’augmentation cérébrale“ : un nouveau défi de régulation pour le politique

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Aux États-Unis se développe tout un marché de dispositifs visant à augmenter les performances du cerveau par des stimulations électriques transmises par de simples électrodes placées sur la tête. Très simples à fabriquer et pas chers, ces produits sont promis à un brillant avenir commercial, et appellent une régulation politique d’urgence.

L’augmentation cérébrale : une révolution à prendre très au sérieux

Loin d’être nouvelle, l’idée de stimuler l’activité cérébrale par des impulsions électriques a été testée dès l’Antiquité, quand des poissons électriques étaient utilisés pour traiter l’épilepsie (1), et a présidé à la création de batteries médicales portables dès la fin du XIXe siècle . Aujourd’hui, toute une communauté de “youtubers” américains bricolent des appareils à partir d’une simple pile reliée à des patch de tissu.

Bien loin du charlatanisme, la neuro-augmentation par stimulation transcrânienne à courant direct a fait l’objet de plus d’un millier d’études depuis 2002, et d’un avis passionnant du Comité Consultatif National d’Éthique pour les Sciences de la Vie et de la Santé en 2013 (2). Les recherches ont démontré empiriquement des impacts positifs sur l’attention, la mémorisation à court terme, l’attention, la perception sensible, l’apprentissage, la vigilance, le multi-tâches, et la sensibilité de la perception (3). Les effets sont en général de courte durée mais peuvent parfois durer plusieurs semaines.

Cette technologie est tellement prise au sérieux qu’en juillet 2016, une start-up dépendant du Pentagone a conclu un contrat avec l’entreprise Halo Neuroscience pour fournir certains soldats américains en appareils de stimulation neuronale – sous la forme d’écouteurs transmettant du courant de très faible intensité – afin d’augmenter les capacités naturelles du cerveau à l’adaptabilité lors des entraînements.

Des appareils simples et pas chers qui permettent, grâce à des séances de 5-10 minutes d’apprendre plus vite, d’être plus attentifs, de moduler son humeur, le tout sans – presque – aucun danger ? On imagine mal que de tels appareils n’inondent pas le marché dans les années à venir. Toutefois, un immense problème de régulation va se poser : comment les commercer ? Comment les utiliser ?

Être ou ne pas être un dispositif médical ? Un vide juridique béant

Il pourrait paraitre évident que les appareils de stimulation transcrânienne à courant direct doivent être définis et régulés comme des appareils médicaux, au même titre que les lentilles de contact, les thermomètres, les compresses, les défibrillateurs etc. Ils sont d’ailleurs d’ores et déjà testés dans le cadre thérapeutique pour traiter des personnes atteintes d’aphasie et de dépression.

Pourtant, rien n’est moins évident. La directive européenne sur les dispositifs médicaux datant du 14 juin 1993, transposée dans les mêmes termes dans le Code français de la santé publique, fait dépendre la qualification de « dispositif médical » de la destination qu’entend donner le fabriquant à son produit. Pour que son produit entre dans le champ d’application de la directive, le fabriquant doit le destiner à des fins « de diagnostic, prévention, contrôle, traitement ou d’atténuation d’une maladie ; diagnostic, contrôle, traitement, d’atténuation ou de compensation d’une blessure ou d’un handicap ; d’étude ou de remplacement ou modification de l’anatomie ou d’un processus physiologique ; ou de maîtrise de la conception ».

Or, les fabricants d’appareils d’augmentation cérébrale dont on parle n’ont aucune visée thérapeutique au sens actuel de la directive européenne, elle-même largement inspirée de la définition forgée par la US Food and Drug Administration. Ils visent simplement un usage récréatif et de confort pour des individus sans problème médical particulier, pas la lutte contre une pathologie ou une infirmité.

Aujourd’hui, rien n’empêcherait la commercialisation à grande échelle de tels appareils, et ce alors même que l’on n’en a pas mesuré tous les risques. Aucune conformité aux exigences essentielles de santé et de sécurité fixées par les directives européennes n’est exigible et aucun contrôle par l’Agence Nationale de Santé et du Médicament n’est envisageable tant que les fabricants ne prétendent pas vendre un produit capable de guérir quoi que ce soit.

Quelles pistes pour réguler intelligemment ces nouveaux produits ?

L’option d’une interdiction totale de ce type d’appareil est à écarter d’emblée : comment appliquer efficacement la prohibition de produits si faciles à fabriquer par soi-même à partir d’équipements de base tels que des piles de 6 volts et des patch de tissu ? Toutefois, l’option inverse consistant à se satisfaire de l’absence de régulation n’est pas davantage satisfaisante, au regard des risques sur la santé publique que feraient courir des usages incontrôlés, particulièrement sur les plus jeunes et les plus âgés.

Il serait de bon sens de décréter des standards de fabrication, des procédures de mise sur le marché, et des protocoles d’usage adaptés à chaque type de dispositif d’amélioration cérébrale. Mais comment s’y prendre ?

Une première option serait de créer une nouvelle régulation propre aux appareils d’augmentation cérébrale et autonome de celle existant pour les dispositifs médicaux. Toutefois, comme l’a fait remarquer un groupe de chercheurs d’Oxford, outre le coût financier et humain d’une telle bureaucratisation, il est à noter que ces appareils sont parfois utilisés à usage non-médical et à usage médical. Une double-régulation briderait excessivement les producteurs et soumettrait les mêmes produits à des normes différentes (4).

La seconde option, défendue par les chercheurs susmentionnés, est de réformer la directive européenne de 1993 sur les dispositifs médicaux pour que rentrent dans son champ d’application ces nouveaux produits. Sans toucher à la définition de « dispositif médical », et sans brouiller les frontières sémantiques entre thérapie et augmentation, ils proposent que lui soit annexée une liste d’appareils d’amélioration cognitive qui serait régulièrement mise à jour, et qui inclurait notamment les appareils de stimulation transcrânienne par courant continu, par stimulation magnétique, ainsi que les appareils de visualisation de l’activité cérébrale. Une distinction serait faite selon le profil de risque : les plus dangereux devraient être interdits à la vente, les moins dangereux seraient exemptés d’une régulation en continu. Des obligations particulières d’information sur le fonctionnement, les risques, le bon usage et les bénéfices à attendre pèseraient désormais sur les producteurs. De nouvelles sanctions pénales seraient à prévoir pour réprimer l’usage par des publics fragiles, notamment les enfants, en s’inspirant par exemple de la répression de la vente d’alcool aux mineurs (5).

Politiques, emparez-vous de ce sujet tant que vous en avez (encore) le pouvoir !

De même que la régulation des dispositifs médicaux s’est construite à l’échelle européenne et en cohérence avec les cadres américains, il serait absurde d’envisager une régulation de ces nouveaux produits à la seule échelle nationale.

La chance du régulateur européen est que ces produits ne sont pas encore arrivés sur le marché, et que la communauté de fabricants « artisanaux » est toujours quasi-inexistante sur le Vieux Continent. Par conséquent, les consommateurs n’ont pas encore eu l’opportunité de développer des usages, des habitudes, ou des accoutumances sans contrôle. Ça va venir, et très vite.

Si les politiques européens aspirent à forger des usages conformes à l’ordre public, et particulièrement à la santé publique, s’ils veulent réguler efficacement par le débat démocratique au Parlement européen et par la consultation avec les professionnels de santé, c’est maintenant qu’ils doivent le faire. La pire erreur serait d’attendre que de mauvaises habitudes se développent et de ne réagir qu’après la révélation d’un grand scandale sanitaire.

L’Histoire des drogues l’a démontré : prohiber un comportement nocif lorsqu’il est déjà généralisé est impossible. Comme l’avait compris l’un des premiers sociologues américains, William Graham Sumner, « la loi ne peut changer les usages » (6). Si les politiques ambitionnent de gouverner, ils doivent forger ces usages en amont, avant qu’ils ne se soient forgés en dehors de tout volontarisme démocratique. Ce constat vaut pour tous les usages à naître de la révolution des NBIC.

 

  1. Finger, S. et Piccolino, M., The Shocking History of Electric Fishes : From Ancient Epochs to the Birth of Modern Neurophysiology, OUP USA, 2011.
  2. Consultatif National d’Éthique pour les Sciences de la Vie et de la Santé, Avis N°122 Recours aux techniques biomédicales en vue de « neuro-amélioration » chez la personne non malade: enjeux éthiques, 12.12.2013.
  3. Etudes référencées dans Idriss Aberkane, Libérez votre cerveau ! Traité de neurosagesse pour changer l’école et la société, Robert Laffont, coll. Réponses, 2016, p 58.
  4. Hannah Maslen, Thomas Douglas, Roi Cohen Kadosh, Neil Levy, Julian Savulescu; « The regulation of cognitive enhancement devices: extending the medical model »; J Law Biosci 2014; 1 (1): 68-93. doi: 10.1093/jlb/lst003, pp 78-79.
  5. Ibid, pp 92-93.
  6. William Graham Sumner, Folkways : a study of the sociological importance of usages, manners, customs, mores and moral, Boston, MA: Ginn 8c Co. 1913.

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