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L’humain détaché du corps humain : le « techniquage » des échantillons biologiques dans les biobanques

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Cellules, tissus, sang, urine, fragments d’ADN : les échantillons biologiques et des données qui en sont issues se multiplient dans les biobanques, collections anatomiques modernes à très grande échelle.  Quel statut, quelle valeur accorder à ces échantillons biologiques,  lorsque l’humain existe en dehors du corps humain, quand l’humain se détache du corps humain et s’analyse entre biologique et technique ? “Biobanking”, “mise en biobanque”, “techniquage” : un nouveau vocabulaire émerge pour qualifier de nouvelles pratiques et de nouveaux objets, peut-être même de nouveaux concepts. L’ouvrage collectif Conserver le vivant, les biobanques face au défi de la médecine personnalisé, récemment publié aux Editions Matériologiquesporte sur l’ensemble de ces questions. Les auteurs, sous la direction de Emmanuel Clarizio, Celine Chérici, Jean-Claude Dupont, Xavier Guchet et Yves-Edouard Herpe se penchent sur les  : « reconfigurations du vivant selon les trois perspectives de la philosophie des techniques, de l’épistémologie et de l’histoire des sciences : quel type d’objet est l’échantillon biologique, « bio-objet » à la frontière du vivant et de la technique, auquel est conféré le pouvoir de représenter la personne elle-même cible de la médecine personnalisée ? quelle est la nature de la connaissance qui se construit sur la base de ces « bio-objets » et des collections qu’ils forment ? Comment, en outre, les activités des biobanques s’insèrent-elles dans l’histoire longue des collections du vivant et des collections anatomo-pathologiques ?”.

Les biobanques sont constituées de collections d’échantillons biologiques et des données qui en sont issues. La mise en place de banques d’échantillons à grande échelle est indispensable aujourd’hui pour la compétitivité des programmes de recherches en santé. Seules de très larges collections d’échantillons permettent de détecter des effets associés à de petites différences génétiques ou biologiques.  Les biobanques existent aussi bien dans le secteur privé que public (“800,000 genome-wide variants and imputation to 90 million variants » pour UK Biobank https://www.ukbiobank.ac.uk), spécialisées ou non (certaines sont exclusivement consacrées aux données génétiques par exemple), en réseau ou non et avec des proportions variables d’échantillons biologiques. 

De l’échantillon à la ressource

Des collections anatomiques aux biobanques, la question qui se pose aujourd’hui est de déterminer la valeur et le statut de ces ressources biologiques ainsi standardisées, normées, industrialisées et marchandisées.  On parle désormais de « centre de ressources biologiques », CRB,  pour désigner les biobanques. La ressource biologique est ce qu’il advient d’un “élement issu du corps humain une fois qu’il a été transformé, annoté et congelé en vue d’être mis à la disposition d’un chercheur“, explique Xavier Guchet dans un article intitulé “Les échantillons biologiques : quels objets pour quels soins ? » (1). L’échantillon – une fois prélevé ce qui constitue«  le premier geste qui instaure cette dichotomie » –  est « techniqué », il subit des opérations techniques au sein de la biobanque, dont la dernière est la congélation. Au terme de ces opérations,  au fil du « biobanking », il s’agit de savoir dans quelle mesure l’échantillon pourrait s’apparenter à un objet technique. Comment interpréter l’ensemble des opérations qui font passer les échantillons du statut d’”élément issu du corps humain” à celui de « ressource biologique” (ce terme restant lui-même à évaluer) ? «Que l’echantillon soit le produit d’un ensemble d’opérations techniques ; qu’il soit le résultat d’un travail de techniquage est indiscutable : mais est-il pour autant un objet technique ? » se demande Xavier Guchet (1).  Au fil de ses réflexions, de l’idée d’un échantillon comme « pli” (Bruno Latour), d’un échantillon comme « artefact » ou encore comme comme “bio-objet » …,  X. Guchet défend l’idée que, si une ressource biologique résulte bien de la transposition d’éléments biologiques dans des espaces extra-corporels, un élément biologique ne se définit pas uniquement à travers sa circulation dans un espace extra-corporel. Il se définit aussi par son lien avec la personne d’origine, avec le déroulement de l’acte de prélèvement et avec les modalités de la gestion des collections, et il ne serait ainsi pas détachable de ces liens, en particulier « le maintien de son attache à des espaces qu’il a quitté (les espaces où se déploie le soin) et avec lequel il doit conserver un lien fort – ce dont le concept de bio-objet ne rend pas bien compte ». 

 

 

Emmanuel Clarizio, Celine Chérici, Jena-Claude Dupont, Xavier Guchet et Yves-Edouard Herpe (sous la direction de). Conserver le vivant, les biobanques face au défi de la médecine personnalisé. Paris : 2022, Editions Matériologiques. 

1 – Xavier Guchet. Les échantillons biologiques : quels objets pour quels soins ?. Pp. 177-207.

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