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Portrait-robot génétique : un contrôle juridique insuffisant ?

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Un arrêt rendu par la Cour de cassation le 25 juin 2015 a bouleversé les méthodes d’exploitation de l’ADN en autorisant l’identification des caractéristiques physiques d’une personne à partir de l’ADN «codant». Les enquêteurs peuvent désormais dresser un véritable portrait-robot génétique de l’individu. Traditionnellement, on distingue les parties de l’ADN dites « codantes » qui déterminent la production de protéines, exprimant ainsi le phénotype d’un individu, des parties dites « non codantes » dont le rôle biochimique est tourné vers la régulation de l’expression génique. L’exploitation de l’ADN sur le plan médical et judiciaire est strictement encadrée par le droit français. Néanmoins, la nouvelle technique du portrait-robot génétique, désormais autorisée par la Cour de cassation, nécessite une réglementation adéquate au regard des risques possibles d’atteinte à la vie privée. La législation précédente ne suffit plus à encadrer la nouvelle pratique de détermination génétique des traits morphologiques apparents des individus. Il appartient ainsi au législateur de répondre aux inquiétudes liées à l’établissement du portrait-robot génétique.

Portrait-robot génétique : l’autorisation par la Cour de cassation d’une technique controversée

Avant l’arrêt de 2015, seule était autorisée l’exploitation de l’ADN «non codant» portant sur 18 segments d’ADN, formant l’empreinte génétique de l’individu, dans le cadre d’un processus d’identification de la personne suspecte. Les enquêteurs faisaient une comparaison entre les empreintes génétiques et les profils enregistrés dans le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). Aucun élément déterminant, parmi les caractéristiques physiques de l’individu, ne pouvait être exploité car la caractérisation du phénotype de l’individu était interdite par la loi. L’exploitation de l’ADN « codant » conduirait à dresser un véritable « portrait-robot génétique » de l’individu.

La Cour de cassation, dans son arrêt du 25 juin 2015, a jugé conforme au droit français (1) la technique de l’exploitation de l’ADN «codant» permettant de dresser un “portrait-robot génétique” de l’individu. Écartant les arguments invoqués par l’Avocat général, la Cour de cassation avait conclu (2) que l’analyse soumise au laboratoire de l’ADN de l’individu ne correspondait pas en l’espèce à une procédure « d’identification » en tant que telle, mais constituait en réalité un examen des « caractéristiques » de l’individu, procédure que le juge d’instruction peut actionner conformément à l’article 81 du Code de procédure pénale. En autorisant la technique du portrait-robot génétique, l’arrêt de la Cour de cassation impose de repenser un nouveau cadre législatif qui s’adapterait à la nouvelle technique d’exploitation de l’ADN nécessaire à une enquête judiciaire.

L’appel à la création d’un cadre législatif renforcé relatif au portrait-robot génétique

Les inquiétudes liées à la technique d’exploitation sont anciennes. Dans une recommandation, adoptée le 10 février 1992 par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, l’analyse de l’ADN était définie comme « tout procédé susceptible d’être utilisé pour analyser l’acide désoxyribonucléique (ADN) (…) ». Cette recommandation, destinée aux États membres, mettait en avant l’utilité d’une protection des données ainsi que le contrôle et la conservation des échantillons prélevés dans le cadre des analyses.

Si la technique du portrait-robot génétique permet de définir des caractéristiques morphologiques apparentes, les changements physiques causés par des opérations chirurgicales ne pourront pas être détectables par cette méthode. Cette technique révolutionnera les enquêtes judiciaires mais pose néanmoins des questions éthiques et juridiques auxquelles le législateur devra apporter des réponses. L’appel à la mise en place d’un cadre législatif précis est d’autant plus nécessaire aujourd’hui qu’avec l’autorisation de l’expertise génétique aux fins de détermination des traits morphologiques apparents nous assistons à la fois à l’amélioration prédictive de l’identification de l’individu suspect et à l’émergence de nouvelles questions éthiques et juridiques liées aux risques potentiels d’atteinte à la vie privée.

Les traits morphologiques apparents, qui sont déterminés par la technique d’exploitation de l’ADN “codant”, peuvent être le sexe, la couleur des yeux et des cheveux ou encore des marqueurs physiques tels que la taille, la distance entre les deux yeux ou la longueur du nez. Ainsi, l’atteinte à la vie privée peut être importante eu égard aux données exploitables à partir de l’ADN. À la suite de l’arrêt de 2015 et sur saisine par la garde des Sceaux, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), réunie en Assemblée plénière le 17 mars 2016, a émis un avis relatif à l’expertise génétique aux fins de détermination des traits morphologiques apparents. La CNCDH propose la mise en place d’un « encadrement strict » des techniques d’identification des traits morphologiques apparents par la loi. En rappelant la nécessité de préserver la vie privée des individus conformément à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH), la CNCDH souhaite la mise en place d’un cadre législatif renforcé et de garanties fortes quant « aux modalités de collecte, de traitement et de conservation donnée de l’expertise ».

Aujourd’hui, la législation française parait insuffisante pour encadrer la nouvelle technique du portrait-robot génétique. Il appartient ainsi au législateur de combler le relatif vide juridique entourant cette technique.

 

(1) Articles 16-10 et 16-11 du Code civil ; Articles 226-26 du Code pénal ; Les articles 706-54 et suivants du Code de procédure pénale

(2) Cour de cassation : « attendu qu’en cet état, dès lors que l’expertise ordonnée par le magistrat instructeur (…) consistait exclusivement à révéler les caractères morphologiques apparents de l’auteur inconnu d’un crime à partir de l’ADN que celui-ci avait laissé sur les lieux, à seul fin de faciliter son identification, l’arrêt n’encourt pas la censure ».

 

Pour aller plus loin

Avis de la CNCDH 

Infographie et enquête du journal Le Monde

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