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Antonio Damasio : l’intelligence humaine ne peut venir aux machines

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La vie humaine est bel et bien spécifique. L’intelligence humaine ne peut venir aux machines.  L’esprit humain a besoin d’un corps et ne peut s’expliquer par des algorithmes. Voilà le message clé du dernier ouvrage d’Antonio Damasio, L’ordre étrange des choses. Au-delà de la mise au point scientifique, l’auteur met en garde contre un courant de pensée notamment representé par Y. N. Harari et N. Bostrom car, estime t-il, « le fait de véhiculer une vision de l’humanité qui porte potentiellement atteinte à la dignité humaine – de manière intentionnelle ou non – ne peut faire avancer la cause de l’humanité ».

Dans un chapitre intitulé L’interprétation algorithmique de l’humanité, il explique que si « les organismes vivant – humains compris- sont construits selon des algorithmes et utilisent des algorithmes pour faire fonctionner leurs mécanismes génétiques…ils ne sont pas en eux même des algorithmes ». Les substrats utilisés dans la construction d’un organisme, le fait que ces substrats soient vivant ou non, font la différence. Un substrat qui ne serait pas un corps humain ne pourrait produire des sentiments humains.

L’esprit humain est, non pas un phénomène purement cérébral, mais le produit d’interactions entre le corps humain et le cerveau. L’esprit, les émotions et en particuliers les sentiments émergent d’un état corporel : « les processus émotionnels, qui sont des programmes d’action liés aux affects, et les sentiments, qui sont la perception mentale des états de l’organisme (y compris les états résultants d’émotions) ».

Ainsi envisagés, les sentiments se déclinent entre douleur, souffrance, bien-être et plaisir. Ce sont ainsi les sentiments qui motivent toute la production culturelle humaine, le langage, la socialité, le savoir et la raison. Le rôle des sentiments a été fondamental au cours de l’Evolution. Ils procurent un avantage aux humains et c’est pourquoi l’Evolution les a privilégié. Quel est cet avantage ? les sentiments font apparaître les options de régulation, par rapport à des états positifs ou négatifs, attractifs, répulsifs, plaisant ou douloureux. Ils aident l’organisme à adopter les comportements les plus favorables à sa persistance. Le processus vital d’homéostasie (identifié par Claude Bernard), les mécanismes de la vie et leur régulation,  explique ainsi les sentiments et les modulations de ces derniers. Une idée que n’aurait pas renié Spinoza avec l’idée exprimée par le terme « conatus » : « Le vivant nourrit un désir non réfléchi et involontaire : celui de persister et d’avancer vers l’avenir, contre vents et marées ». Dans cette projection vers l’avenir, le bien être, la santé et la reproduction constituent des impératifs.

Antonio Damasio reprend ainsi dans cet ouvrage le fil de son argumentation, à la croisée de la biologie et des sciences humaines, de la neurobiologie et de la culture, entamée dès 1994 avec l’ouvrage « L’erreur de Descartes, la raison des émotions » dans lequel il s’opposait au dualisme du corps et de l’âme, mettant en avant les aspects neurologiques des émotions et les relations entre le cerveau, le corps et l’esprit, entre les émotions et la raison. Il y expliquait que la perception des émotions se fait dans et avec un corps et en interactions avec les circonstances extérieures.

L’humanité, telle qu’elle est interprétée par A. Damasio, émerge à la fois de la complexité des sentiments et de la liberté que ceux-ci provoquent : « la dimension exceptionnelle de chacun d’entre nous provient de l’importance sans égale que nous accordons à la souffrance et à l’épanouissement – notamment dans le cadre de nos souvenirs et de nos incessantes représentations mentales et imaginations du futur ». Dans ce cadre, les comportements humains, à la différence des algorithmes, ne sont pas intrinsèquement prévisibles, ils sont nécessairement libres : « la perception des émotions et la pensée font…naître des comportements, en raison de la liberté considérable qui les caractérise ».

 Antonio Damasio met alors en garde ceux qui seraient tentés par l’amalgame humains-machines-algorithmes : « se passer du substrat chimique qui permet l’existence de la souffrance (et de ses contraires le plaisir et l’épanouissement) reviendrait à éliminer la base naturelle sur laquelle se fonde nos valeurs morales ».

Un jour peut-être, admet-t-il, il pourrait s’avérer possible de recréer toutes les conditions de la vie humaine : les conditions de l’homéostasie, les sentiments à partir d’un corps vivant qui serait simulé. Pourraient ainsi voir le jour des robots humanoïdes se rapprochant des comportements et d’une intelligence humaine. A cette perspective, la mise en garde prend tout son sens.

 

Antonio Damasio. L’ordre étrange des choses. La vie, les sentiments et la fabrique de la culture. Paris : Odile Jacob, 2017.  392p.

 

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