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L'exceptionnalité génétique en question outre-Manche

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Le patrimoine génétique humain est-il intouchable ? Non, répondent les auteurs d’un rapport (1) du comité d’éthique britannique, Nuffield Council on Bioethics, qui remettent en cause l’exceptionnalité génétique et considèrent qu’aucun argument éthique ne justifierait une interdiction de l’édition du génome humain héritable. La reflexion repose sur l’hypothèse d’ un avenir où des caractéristiques humaines héritées pourraient être modifiées de manière sûre par le biais de la technologie d’édition de génome, les fameux”ciseaux génétiques”.

Publiée au Royaume-Uni en juillet dernier, cette étude aborde de manière frontale et très détaillée les enjeux éthiques des possibilités de choix reproductifs qui seraient induites par des pratiques  d’édition de génome.  

L’essentialisme génétique ainsi que le recours au concept de dignité humaine comme cadre moral des pratiques y sont critiquées (la critique de l’essentialisme et de l’exceptionnalité génétique fait l’objet de l’article ci-dessous, tandis que les objections  au principe de dignité comme cadre moral seront examinées ultérieurement). Deux idées principales guident cette reflexion éthique. D’abord la constatation que le génome humain n’est pas stable et se modifie en permanence : “The kind of ‘genomic essentialism’ that would link human dignity or human rights to the possession of a particular kind of genome seems incoherent since the human genome is not a single, stable thing, nor is it distinct in all particulars from the genomes of other organisms“. Ensuite l’idée que le pouvoir des gènes n’est pas détachable des autres éléments qui interviennent dans le développement d’un enfant, de son identité et de sa personnalité : ” given the variation in expression in different people and different circumstances, genomic interventions may not be anymore effective than other controls except in some highly unusual cases. In many cases, genomic intervention may represent technological solutionism, displacing more appropriate and effective social responses“.  Cette approche se situe dans une tradition anglo-saxonne “pragmatique”, celle que le philosophe allemand Jürgen Habermas appréhende dans “la crainte d’un usage abusif de la violence sociale que les personnes privées peuvent, dans la dimension horizontale de leurs relations aux autres personnes privées, exercer les une envers les autres (2) “, et contre laquelle il défend certains principes moraux irréductibles qui seraient attachés à l’humain. Habermas défend ainsi  dans son ouvrage L’avenir de la nature humaine, vers un eugénisme libéral,  le droit pour les individus – dans leur compréhension d’eux-mêmes – de  “pouvoir être soi”, c’est à dire de se percevoir comme l’auteur de sa propre vie.

Aucun argument éthique ne justifierait une interdiction de l’édition du génome humain héritable

Si pour les auteurs du rapport britannique, aucune protection spécifique du fait du génome lui-même n’est justifiée, encadrer les nouvelles pratiques demeure une priorité. Il s’agit pas de fixer des limites aux pratiques à venir d’édition de génome par un principe moral, mais de les réguler dans un objectif de bien-être pour les enfants à venir, le respect de la justice sociale et de la solidarité. Toute les difficultés demeurent et tiennent alors dans l’interprétation des ces derniers termes, de la nécessaire distinction entre les intérêts des individus, les normes sociales et les intérêts des enfants à venir, c’est à dire le devenir de l’humanité  et des réponses apportées aux questions qui alimentent le débat depuis le décryptage du génome dans les années 2000 notamment  : 

La distinction entre les pratiques thérapeutique et les pratiques d’amélioration n’est pas retenue par les auteurs du rapport. Cette distinction entre la thérapeutique et l’amélioration constituait pourtant le cadre le cadre de la réflexion d’un rapport précédent publié par les académies concernées, the Nasem,  aux Etats-Unis  en 2017 : “ The committee recommends that genome editing for purposes other than treatment or prevention of disease and disability should not proceed at this time, and that it is essential for these public discussions to precede any decisions about whether or how to pursue clinical trials of such applications (3)“. Les chercheurs britanniques qui préfèrent concentrer leurs travaux sur les nouveaux pouvoirs normatifs, les contraintes liées à de nouvelles normalités qui pourraient s’exercer à cette occasion sur les individus : ” What is important is not the conservation or alteration of a particular range of characteristics at the level of the genome, but rather the potential consequences of genomic interventions for people and the social relations in which they stand to one another. These are expressed not in the pursuit of uncertain outcomes, but in the orientation towards those futures” concluent-ils.

 

 

 

(1) Nuffield Council on Bioethics (2018) Genome Editing and Human Reproduction: social and ethical issues (London: Nuffield Council on Bioethics).

(2) Jürgen Habermas. L’avenir de la nature humaine. Paris : Gallimard, 2002. P. 114.

(3) T National Academies of Sciences, Engineering, and Medicine. 2017. Human Genome Editing: Science, Ethics, and Governance. Washington, DC: The National Academies Press. https://doi.org/10.17226/24623.

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