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Une amélioration morale, vraiment ?

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Une amélioration morale des humains à l’aide de neuro-technologies, est-ce vraiment si simple ?

Il s’agirait de modifier les traits moraux des individus, par exemple développer l’empathie ou à l’inverse atténuer la volonté de domination, par des moyens chimiques tels que l’ocytocine, une modulation de la sérotonine ou par des appareils de stimulation cérébrale. La volonté d’un usage social des neuro-technologies se retrouve fréquemment chez les auteurs transhumanistes ou proches de ce courant de pensée. Ces pratiques reviendraient à modifier le comportement et, à ce titre, suscitent évidemment beaucoup de controverses. Défendue par l’Association Française Transhumaniste, AFT, l’amélioration morale est aussi théorisée depuis plusieurs années par les chercheurs du Oxford Uehiro Centre for Practical Ethics, notamment son directeur Julian Savulescu.

Viennent immédiatement à l’esprit des objections à cette modification du fonctionnement cérébral, en premier lieu le respect de l’autonomie des individus, le consentement à l’utilisation de neural modifyers en particuliers pour les personnes vulnérables, dont les enfants, et les conditions d’un recours à des  moyens biomédicaux à caractère fortement intrusif. Si l’on admettait le principe d’une amélioration dite morale, n’est-il pas plus justifié d’agir sur les chaines de causalité de ce comportement, dans un cadre de réflexion adapté à la complexité du développement cérébral humain, plutôt que sur ses conséquences ? Pour un meilleur développement des états mentaux des individus, pourquoi ne pas privilégier en aval les apprentissages et la socialisation, plutôt qu’en amont l’usage de moyens biomédicaux. Comment prendre en compte un comportement en laissant de côté toute réflexion sur les causes de ce comportement et les intentions qui amènent à le produire ? 

Ce n’est pas l’avis de Julian Savulescu qui défend l’idée, dans un ouvrage publié en 2013 Unfit for the future, the need for moral enhancement, que l’amélioration morale neuro-technologique est indispensable aux sociétés contemporaines. Face aux possibilités techniques dont disposent les humains pour nuire à leurs congénères et à la planète, l’éducation morale traditionnelle lui paraît à la fois inadaptée et dépassée. Dans ce raisonnement, le recours aux neuro-technologies apparaît comme le seul moyen d’empêcher les humains de se détruire eux-mêmes. Le constat de la démesure des moyens techniques contemporains comparés aux capacités de réflexion éthique des humains avait été développé après la Seconde Guerre mondiale par les philosophes allemands Hans Jonas et Gunther Anders. Mais Julian Savulescu en déduit un principe qui ne figure évidemment pas dans la pensée des deux auteurs : le recours aux neuro-technologies et à une amélioration morale comme un impératif pour les sociétés contemporaines.

On retrouve la même idée chez les chefs de file du mouvement Technoprog, Didier Coeurnelle et Marc Roux, quoique plus ambitieuse car elle vise, outre la diminution de la violence, “le bonheur pour tous”. Dans cette perspective, le projet de diminuer la violence liée aux nouvelles technologies vise à améliorer le rapport aux autres, la solidarité, la compassion et la compréhension mutuelle : « Les prédispositions morales de l’humain que nous connaissons nous paraissent –elles si idéales que nous ne devrions pas y toucher ? Portent-elles un caractère sacré ? Pourquoi nous interdire d’agir autrement que par l’éducation et par la culture ? N’avons-nous pas intérêt, collectivement et individuellement, à améliorer ces prédispositions par tous les moyens si nous en devenons capables ? ».

Dans sa définition de l’amélioration morale, Julian Savulescu vient d’apporter des nuances significatives. Dans un article mis en ligne récemment, il explique pourquoi il penche finalement davantage pour l’amélioration des capacités de raisonnement, qu’une amélioration des fonctions morales elles-mêmes. La raison : la difficulté à définir la désirabilité des traits de moralité dans une société donnée. Trop d’empathie peut conduire à augmenter les vulnérabilités d’une personne ou même d’une société, et mettre en danger : « moduler ses propres réponses morales dans un sens flexible, sensible au raisonnement, d’une manière dépendant du contexte pourrait être une manière plus sure, et dans certains cas, plus appropriée, de réaliser une amélioration morale des individus ». Trois conditions restent à respecter, selon l’auteur,  pour l’admissibilité de ces pratiques qui, en définitive, se rapprochent de l’amélioration dite cognitive :

Il semble que ce dernier point, pour être parfaitement respecté, rendrait aujourd’hui illégitime toute utilisation d’une technologie de modification du fonctionnement cérébral des personnes en bonne santé, tant les connaissances dans ce domaine sont incomplètes.  Si les avancées des connaissances permettent de mieux comprendre les mécanismes de prise de décision et ce qui sous-tend certains comportements, le domaine des neurosciences et celui de la morale ne se superposent pas.

 

Pour en savoir plus :

Earp, B. D., Douglas, T., & Savulescu, J. (forthcoming). Moral neuroenhancement. In S.Johnson & K. Rommelfanger (eds.), Routledge Handbook of Neuroethics. New-York:Routledge.

https://www.academia.edu/27484573/Moral_neuroenhancement

Ingmar Persson, Julian Savuslescu. Unfit for the futur. The need for moral enhancement. Oxford University press, 2012.

Didier Coeurnelle. Marc Roux. Technoprog. Le transhumanisme au service du progrès social. FYP Editions, 2016.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

3 commentaire

  1. Bonjour Elisabeth,
    Merci pour cet article. Je suis d’accord avec 90% de votre conclusion, à un détail près, donc. Je ne pense pas qu’il puisse être jamais possible de connaître quoi que ce soit de façon “parfaite”. Par conséquent, un patient, comme une personne “saine” à la recherche d’une amélioration “morale” ou cognitive ne pourra jamais qu’être informée au mieux des connaissances de son temps. Elle sera toujours confrontée à un certain degré d’incertitude et de de risque. Face à ce risque, la question est de savoir comment est-ce que nos institutions peuvent et doivent fixer les limites arbitraires du possible et de l’interdit. La réponse me semble ne pouvoir passer que par un consensus scientifique perpétuellement remis en question.

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