Des technologies émergentes sont à l’aube de détecter, dans le cerveau, les bases biologiques de la pensée (1) et de pouvoir les influencer. Le cerveau des jeunes humains, siège du comportement et de la prise de décision, sera dans quelques années enregistrable, interprétable via des air-buds (type Airpods), des casques ou des lunettes connectées (type Apple Vision Pro). La vulnérabilité des jeunes humains et la malléabilité de leur fonctionnement cérébral justifie de les mettre à l’écart de ces technologies. Si une “liberté cognitive” des adultes est introuvable, puisque le parcours cognitif (2) des individus se construit nécessairement par un nombre infini d’influences, un principe – plus restreint – de “liberté du développement cognitif” pourrait, lui, constituer le cadre d’une réflexion politique. Considérant la fragilité du cerveau des jeunes humains, il s’agit alors de préserver leur “compréhension d’eux-même comme des sujets autonomes“.
Le recours à un concept de “développement cognitif” permet de considérer le cas spécifique du cerveau des enfants en développement, la période cruciale au cours de laquelle se construisent les bases, le socle de l’existence des futurs adultes. Dans la réflexion sur la technicisation à venir du cerveau humain, le cas des enfants et de leur développement cognitif, doit être considéré à part, pour trois raisons principales :
- D’un point de vue biologique, le cerveau des jeunes humains est particulièrement influençable au cours de sa période de développement, c’est à dire durant une longue période, jusqu’à la fin de l’adolescence,
- D’un point de vue juridique, les enfants ne consentent pas. En l’absence de consentement, la société détermine ce qui est dans l’intérêt des enfants. Les adultes doivent protection aux enfants. Ce statut repose sur la vulnérabilité des enfants et l’idée que, en raison de leur manque de maturité physique et intellectuelle, ils ont besoin d’une protection spéciale (cf déclaration des droits de l’enfants. ONU 1959),
- D’un point de vue politique, les jeunes sont dans, les sociétés contemporaines, l’objet d’importantes contraintes cognitives en vue de leur réussite scolaire et de leur vie professionnelle future. Certaines de ces contraintes peuvent être considérée comme excessives, voire tyranniques.
Déjà évoqués pour débattre du recours excessif à des substances chimiques pour améliorer les performances scolaires des enfants (3), il y a une dizaine d’années, ces arguments sont valables à fortiori aujourd’hui dans la perspective d’une banalisation, dans les années à venir, de neurotechnolgies non invasives, c’est à dire utilisables sans implantation chirurgicale. Si le recours aux substances chimiques ( Aderall, Ritatline…) posait déjà problème, le caractère intrusif des neurotechnologies parait plus important, puisqu’elles sont capables de capter, d’interpréter le fonctionnement cérébral à l’aide d’algorithmes dédiés et en conserver les données. Certaines de ces neurotechnologies peuvent modifier le fonctionnement cérébral, par stimulation magnétique transcrannienne ou stimulation électrique par exemple. Ces derniers dispositifs sont aujourd’hui réservés au domaine médical.
Dans le cadre d’un principe de “liberté du développement cognitif“, quelles situations iraient à l’encontre de ce principe? A quel moment pourrait-on considérer que la liberté du développement cognitif des jeunes enfants est mise en cause ? Le contrôle des enfants par les adultes est de nature anthropologique, liés à leur dépendance envers les adultes. Il s’agit alors de déterminer dans quelle mesure ce contrôle deviendrait excessif et inadmissible. Le concept de “liberté du développement cognitif” constituerait un cadre pour déterminer l’intérêt des enfants, débattre du caractère excessif d’orientations qui serait données, qui traduiraient une violence des adultes envers les enfants. Dans ce cadre, une hypothèse consisterait à mettre les jeunes humains à l’écart des neurotechnologies jusqu’à un âge donné, correspondant à une plus grande maturité du développement cérébral, 18 ans par exemple (4).
Le philosophe Jurgen Habermas, débattant des différences morales entre, d’une part des pratiques éducatives excessives, d’autre part la possibilité de modifications du génome des embryons avant la naissance, avait évoqué la disparition pour ces dernières d’un “espace de contestation”, d’une possibilité de modulation des influences par la communication verbale. Avec la disparition de l’espace de contestation disparaît, selon Habermas, la compréhension de soi-même comme un agent qui peut contester, comme un agent autonome. Le même raisonnement pourrait s’appliquer par analogie aux neurotechnologies, lesquelles pourrait affecter la compréhension qu’ils ont les jeunes d’eux-mêmes, comme des sujets autonomes.
Pour les jeunes humains, la compréhension de soi-même comme un agent qui peut contester semble déjà s’effriter, à mesure que se banalise le recours à des intelligences artificielles génératives qui permettent de faire l’économie de certains mécanismes cérébraux de raisonnement, formulation verbale ou écrite …, et alors même que ces pratiques n’affectent pas directement la biologie qui sous-tend les mécanismes cérébraux. Les jeunes représentent la société de demain. Décider des modalités de leur développement cognitif constitue un choix politique pour la société de demain. Un choix politique nécessaire, pour que l’humain reste le sujet de son propre avenir.
1 – Neurotechnologies : vivront-nous tous dans la matrice ? The Conversation. Conversation avec Hervé Chneiweiss. 29 octobre 2025. “Nous nous approchons donc là de la possibilité de détecter la base de la pensée”. https://theconversation.com/neurotechnologies-vivrons-nous-tous-dans-la-matrice-conversation-avec-herve-chneiweiss-268421
2 – Le mot cognitif est compris ici dans un sens large, c’est à dire allant de la connaissance, aux facultés mentales, en passant par la perception et l’émotion. Andler 2018.
3 – Elisabeth de Castex. Revue Française d’éthique appliquée. 2017/3. P. 91-13. https://shs.cairn.info/revue-francaise-d-ethique-appliquee-2017-1-page-91?lang=fr
4 – UNESCO. 6 novembre 2025. P.16. https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000394866_fre
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