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Aadhaar : en Inde, identification biométrique pour 1,3 milliard d’individus

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Une reconnaissance par les empreintes digitales et l’iris de l’oeil, assortie d’un numéro d’identification à 12 chiffres pour plus d’un milliard d’individus, quels enseignements tirer aujourd’hui de ce gigantesque projet biométrique, Aadhaar (fondation en hindi) lancé par l’Etat Indien en 2009 ? Le projet porte à la fois sur l’authentification et l’identification, deux démarches qu’il est nécessaire de distinguer. Dans une démarche d’’identification, l’Etat d’attribue une identité administrative aux citoyens, permettant ainsi à tous les indiens d’« exister » aux yeux de l’Etat.  L’authentification vise à s’assurer de l’identité – préalablement établie – d’un individu, par exemple pour lutter contre les détournements dans le versement des prestations sociales.  Dans ce cadre, la mise en données de la population représente t-elle alors une prouesse technique ou plutôt un scénario dystopique ?

Les auteurs d’une étude récemment publiée par le CERI, Centre de recherches internationales de Sciences Po Paris, L’identification biométrique de 1,3 milliard d’Indiens. Milieux d’affaires, Etat et société civile, de Christophe Jaffrelot et Nicolas Belorgey, penchent pour la deuxième interprétation et mettent en avant les problèmes persistants que constituent l’inégalité dans l’accès au numérique, l’exclusion des individus dont l’iris ou les empreintes digitales seraient abimés (en particulier par le travail manuel), les risques de vol et de fraudes, et le très noir scénario dans lequel des banques subordonneraient un prêt à l’accès à ces données personnelles. Dans le projet Aadhaar, l’initiative est à la fois privée et publique et surtout les intérêts publics et des intérêts privés y sont mêlés, expliquent les auteurs de l’étude. Ce qui, pour un projet portant sur un domaine aussi sensible que la mise en données de la population, représentait au minimum des complications de départ, au pire un défaut originel. Les objectifs étaient doubles. Il s’agissait à la fois : 

Les auteurs mettent en lumière de quelle manière les seconds ont utilisé les premiers, sans que des contre-pouvoirs institutionnels n’aient pu s’y opposer  : ” Il s’agissait à l’origine d’un projet né au sein des entreprises informatiques basées à Bangalore, et son principal architecte, Nandan Nilekani, était d’ailleurs le patron d’une de ces grandes firmes. Leur dessein était d’utiliser les techniques du numérique et les données qu’elles permettent de recueillir à des fins économiques. Mais pour enregistrer l’ensemble de la population indienne, il fallait convaincre l’Etat de s’investir dans l’opération. L’argument qui emporta l’adhésion du gouvernement fut financier : ce programme, nommé Aadhaar, permettrait de distribuer les fonds d’aide aux pauvres en minimisant les pertes liées notamment à la corruption et à l’existence de doublons parmi les bénéficiaires. Or être identifié par Aadhaar est devenu peu à peu nécessaire pour réaliser de multiples opérations de la vie courante, y compris pour payer ses impôts. Saisie, la Cour suprême a tardé à se prononcer et n’a pas cherché à protéger la vie privée des personnes d’une manière convaincante. Aadhaar n’a pas non plus préservé la qualité des services rendus aux pauvres – loin de là – et son impact économique est encore à prouver… ».

Un article publié par le magazine britannique The Economist,  le 7 décembre dernier, se place dans une perspective différente en reconnaissant au programme de multiples avantages. Au point d’expliquer comment Aadhaar va servir de modèle pour de nombreux autres pays, avec le soutien de la Banque Mondiale : “When millions of migrant workers were forced by India’s sudden covid lockdown to return to their villages from the cities where they worked, many feared destitution. But Aadhaar, the country’s pioneering biometric ID system, came to the rescue. Under an income scheme for farmers launched in 2014 that would have been impossible without Aadhaar, $1.5bn was transferred digitally and at speed into the bank accounts of 30m people, with little waste or fraud and almost no distribution cost. Because 1bn accounts are linked to people’s Aadhaar identity numbers, India has been able to channel help to where it has been most needed with remarkable efficiency. Contrast that with America, where 90m paper cheques were laboriously sent through the mail, accompanied by a signed letter from President Donald Trump (…) Many governments in Africa and Asia have been inspired by the success of Aadhaar, which since its inception in 2009 has enrolled 1.3bn people. It has streamlined the delivery of services and payments, cut corruption, boosted financial inclusion and hugely raised participation in India’s digital economy. Before covid struck, encouraged by the launch of World Bank’s ID4D (“Identification for Development”) programme, which started in 2014, countries such as Morocco, the Philippines and Myanmar went to Delhi in search of help. But there is now a new sense of urgency. However, Aadhaar is a complex system with its own set of application program interfaces, known as the India Stack, that could not easily be replicated. Having learned lessons from Aadhaar, Mr Nilekani proposed a different approach: building an open-source foundational ID platform that could be taken up by any country free of charge. The result is MOSIP, which stands for Modular Open Source Identity Platform ».

 

 

L’identification biométrique de 1,3 milliard d’Indiens. Milieux d’affaires, Etat et société civile, de Christophe Jaffrelot et Nicolas Belorgey dans la collection Les Études du CERI, Centre de recherches internationales de Sciences Po Paris.

The Economist. Covid 19 spurs national plans to give citizens digital identities. MOSIP, an open-source platform developed in India, will be central to many of those efforts. 7 décembre 2020. https://www.economist.com/international/2020/12/07/covid-19-spurs-national-plans-to-give-citizens-digital-identities

 

 

 

 

 

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