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Sélection des embryons : le besoin urgent d’un débat bioéthique

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Les états généraux 2018 de la bioéthique qui se tiendront tout le premier semestre 2018 et aboutiront à une révision de la loi Bioéthique à l’automne ont mis à leur agenda de réflexion la recherche sur la reproduction et le développement embryonnaire. Un thème apparemment technique mais dont l’opinion doit s’emparer au plus vite, eu égard aux lourdes questions posées par les avancées technologiques récentes.

Le diagnostic préimplantatoire en droit

Le diagnostic préimplantatoire à partir de cellules prélevées sur l’embryon est régi par les articles L. 2131-4 et suivants du code de la santé publique, eux aussi issus de la loi Bioéthique de 2011.

Aujourd’hui, ce diagnostic n’est autorisé « qu’à titre exceptionnel » dans deux hypothèses : soit lorsqu’il est médicalement attesté que le couple, du fait de sa situation familiale, a une forte probabilité de donner naissance à un enfant atteint d’une maladie génétique d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic ; soit lorsqu’a été préalablement et précisément identifiée, chez l’un des parents ou l’un de ses ascendants immédiats dans le cas d’une maladie gravement invalidante, à révélation tardive et mettant prématurément en jeu le pronostic vital (chorée de Huntington notamment), l’anomalie ou les anomalies responsables d’une telle maladie.

Les deux membres du couple doivent y consentir par écrit et le diagnostic ne peut avoir d’autre objet que de « rechercher cette affection ainsi que les moyens de la prévenir et de la traiter », ce qui exclut les diagnostics lancés sans indice précis.

Révolution technologique à l’horizon

Or, une révolution technologique est en train de se produire en matière de détection de pathologies à partir de tests embryonnaires. Les développeurs des nouveaux tests, rendus possibles par des algorithmes informatiques basés sur de gigantesques bases de données médicales, ont pour ambition de ne plus seulement détecter des maladies causées par un seul gène défectueux, mais prédire statistiquement de manière beaucoup plus large la personne que l’embryon testé pourrait devenir, en adoptant une approche « polygénique » fondée sur l’interaction entre plusieurs gènes.

La MIT Technology Review a consacré un article[1] à une start-up californienne fondée en 2017, Genomic Prediction. Celle-ci affirme vouloir permettre aux médecins pratiquant des FIV et aux parents de repérer les embryons « aberrants », dont les caractéristiques génétiques les placeraient à la mauvaise extrémité d’une courbe statistique pour des « troubles » comme le diabète, l’ostéoporose, la schizophrénie, ou encore le nanisme. A terme, l’entreprise souhaiterait détecter les embryons dont le patrimoine génétique entrainerait « des problèmes intellectuels », comme « un QI inférieur à 70 ».

Ces modèles de prédiction sont rendus possibles notamment par une avalanche de données médicales. En juillet 2017, la UK Biobank a en effet rendu publics les dossiers médicaux de 500 000 participants à un projet national de médecine de précision[2]. Pour autant, comme le souligne l’un des auteurs de tests anténataux de la société californienne Natera, ces données ne sont relatives qu’à des populations essentiellement nord-européennes, ce qui pourrait créer des biais et empêcher qu’elles ne soient fiables pour des populations originaires d’autres zones géographiques ou au patrimoine génétique métissé.[3]

Selon les experts contactés par la MIT Technology Review, s’il est encore prématuré d’introduire dans les cliniques de FIV des technologies de tests « polygéniques », cela ne saurait tarder.

Avec le diagnostic préimplantatoire « 2.0 », l’espoir de mettre toutes les chances du côté des enfants à naître

Le diagnostic préimplantatoire « 2.0 » peut apparaître très attrayant : il permettrait de calculer – avec une marge d’erreur plus ou moins grande – les risques pour un futur être humain non seulement d’être victime d’une maladie létale dès sa naissance mais aussi de contracter au cours de sa vie des maladies pour lesquelles il n’existe pas de réel traitement préventif, comme l’infarctus du myocarde ou l’un des nombreux cancers à étiologie génétique.

En fournissant des informations statistiques sur chaque embryon produit par des techniques de PMA, le diagnostic préimplantatoire donnerait aux parents le pouvoir de sélectionner, pour l’implantation, l’embryon présentant le moins de « risques », le tout sans attendre plusieurs semaines que le foetus se soit développé dans le ventre de la mère et n’oblige, en cas de diagnostic défavorable, à recourir à une interruption médicale de grossesse (IMG) plus traumatisante. Pour Israël Nisan, professeur de médecine et fondateur du Forum Européen de Bioéthique, pas de doute : « le dépistage prénatal, je vous l’assure, est promis à un bel avenir, car les gains en performance des tests, permettront à l’avenir de détecter la trisomie 21, puis d’autres infections héréditaires, d’abord les plus graves, plus bénignes ensuite. »[4]

Le diagnostic préimplantatoire établi à l’occasion d’une PMA pourrait déboucher sur la non-implantation des embryons présentant le plus de risques de développer une maladie à étiologie génétique, mais il pourrait aussi déboucher carrément sur une modification du génome de l’embryon « risqué », notamment grâce au scalpel moléculaire CRISPR-Cas9 qui peut supprimer et remplacer des gènes entiers de plus en plus précisément.[5]  Il convient de préciser toutefois qu’à l’heure actuelle, la technique pose encore de nombreux problèmes de sécurité et la ré-implantation d’embryons modifiés fait l’objet d’interdiction dans de nombreux pays. Par ailleurs, l’article 13 de la convention d’Oviedo du 4 avril 1997, ratifiée par la France en 2012, n’autorise de modification du génome « que pour des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques et seulement si elle n’a pas pour but d’introduire une modification dans le génome de la descendance. »[6] Or, une modification génomique au stade embryonnaire pourrait justement avoir des conséquences pour la descendance de la personne issue de cet embryon modifié et être dès lors prohibée.

En outre, pour permettre des avancées scientifiques significatives, de telles manipulations devraient en amont nécessiter des expérimentations. L’article L. 2151-1 du code de la santé publique interdit de telles recherches sans autorisation et cette dernière ne peut être octroyée par l’Agence de la biomédecine que sous quatre conditions (établissement de la pertinence scientifique de la recherche, finalité médicale, caractère indispensable du recours aux embryons ou cellules souches embryonnaires et respect des principes éthiques par le protocole). L’article 18 de la convention d’Oviedo interdisant la production d’embryons à des fins de recherche, seuls les embryons surnuméraires issus d’une PMA et qui ne font plus l’objet d’un projet parental peuvent être utilisés, ce qui en réduit le nombre disponible. De plus, les deux membres du couple doivent y consentir et peuvent se rétracter sans motif jusqu’au début des recherches.

Les Français semblent massivement favorables à la modification génétique des embryons humains pour guérir les maladies les plus graves avant la naissance (80 %) ou corriger une anomalie génétique (77 %). En revanche, sentant le danger, ils rejettent tout aussi massivement (88 %) l’usage de ces technologies pour améliorer certaines caractéristiques des enfants à naître (obésité, couleur des yeux…).[7]

Le risque omniprésent de très graves dérives

En effet, les dérives de ces diagnostics préimplantatoires, s’ils étaient généralisés et lancés sans rechercher de maladie précise, sont évidentes. Les informations récoltées forceraient les parents à faire des arbitrages extrêmement douloureux à partir d’informations anodines (taille, couleur des cheveux et des yeux, morphologie), à partir de statistiques sur des risques de contracter des maladies létales mais aussi non-létales (cécité, surdité, malformation d’organes non-vitaux…), le tout dans un contexte d’immense incertitude quant à la fiabilité du diagnostic.

A cela s’ajouteraient les troubles identitaires potentiels pour les enfants issus non pas du hasard mais d’une sélection entre plusieurs embryons.

Enfin, la société pourrait porter un regard de moins en moins compatissant sur les personnes nées avec un handicap, car celui-ci ne serait plus perçu comme une fatalité mais comme une anomalie qui aurait pu être évitée avant la naissance. A ce propos, Israël Nisan alerte : « la place dans notre société des personnes différentes risque d’être réduite à la portion congrue par un diagnostic prénatal de plus en plus performant, laissant roder chez tout à chacun le fantasme d’une société plus rationnelle où on dépenserait moins pour les personnes handicapées. »[8]

Les perspectives dressées par le co-fondateur de Genomic Prediction, Stephen Hsu, qui dit être inspiré par le film Bienvenue à Gattaca, sont terrifiantes : selon lui, les milliardaires de la Silicon Valley seront les premiers à recourir à des FIV, même s’ils n’en ont pas besoin médicalement, pour produire des enfants moins exposés aux risques de maladies génétiques, plus exceptionnels et avec de plus hauts QI. Le reste de la société s’interrogera pour savoir s’il faut suivre leur exemple et des référendums nationaux auront lieu pour autoriser ou interdire ces pratiques.[9]

Les états généraux 2018 de la bioéthique doivent être l’occasion pour la société française – le législateur au premier chef – de s’interroger sur l’équilibre à trouver entre la volonté légitime des parents de mettre toutes les chances du côté de leurs enfants à naître – ce qui pourrait conduire à assouplir les conditions de recours au diagnostic pré-implantatoire telles que posées par l’actuel article L. 2131-4 du code de la santé publique – et la nécessité d’endiguer les dérives illégitimes, ce qui pourrait conduire à lister les recherches d’informations génétiques tolérables et celles qui devraient être interdites.

 

[1] Antonio Regalado, « Eugenics 2.0: We’re at the Dawn of Choosing Embryos by Health, Height, and More », MIT Technology Review, 1er novembre 2017, (traduction par l’auteur de ces lignes), https://www.technologyreview.com/s/609204/eugenics-20-were-at-the-dawn-of-choosing-embryos-by-health-height-and-more/ 

[2] UK Data Bank, « Genotyping and Imputation Data Release », Mai 2017, http://www.ukbiobank.ac.uk/wp-content/uploads/2017/07/UKB-Genotyping-and-Imputation-Data-Release-FAQ.pdf

[3] Regalado, 2017, Ibid

[4] Forum Européen de la Bioéthique, « Le transhumanisme : promesse ou cauchemar ? + Humain, post-humain », 31 janvier 2017, à partir de 1:04:20, https://www.youtube.com/watch?v=vJ1Y38hFrFA

[5] Emily Mullin, « CRISPR 2.0 Is Here, and It’s Way More Precise », MIT Technology Review, 25 octobre 2017, https://www.technologyreview.com/s/609203/crispr-20-is-here-and-its-way-more-precise/

[6] Décret n° 2012-855 du 5 juillet 2012 portant publication de la convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine : convention sur les droits de l’homme et la biomédecine, signée à Oviedo le 4 avril 1997, https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000026151968

[7] Ifop-La Croix, précité

[8] Ibid

[9] Regalado, 2017, Ibid

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