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Pour ou contre un moratoire sur le genome editing

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Le moratoire est-il un bon outil de gouvernance pour la régulation des innovations qui transforment le vivant humain ? A la suite de l’émoi provoqué par des interventions sur le patrimoine génétique de deux enfants, Lulu et Nana, il y a quelques mois en Chine, un appel à établir un moratoire sur la technologie d’édition du génome CRISPR-Cas-9 vient d’être lancé (1). Cet appel ne fait pas l’unanimité. Sont critiqués, non pas les objectifs – parvenir à une régulation internationale des manipulations génétiques transmissibles à la descendance et qui affectent l’humanité dans son ensemble – mais le recours à un moratoire comme moyen d’y parvenir.

Le moratoire est-il une réaction excessive liée à des peurs de l’inconnu, ou bien au contraire une réaction trop timorée, là où un ban, c’est à dire une interdiction définitive,  aurait été préférable ? A quoi sert finalement un moratoire, c’est à dire une interdiction temporaire ? “If a moratorium is imposed when a scientific field sits on the precipice of an ethically uncertain discovery, pausing research offers all relevant stakeholders the opportunity to temporarily reevaluate the science’s underpinnings and implications. If sound, progress; if otherwise, consider more permanent halts” expliquent les auteurs d’une étude (2) sur l’utilisation du moratoire aux Etats-Unis. Mais il faut éviter, remarquent-ils,  que le recours à cet outil par des pouvoirs publics ne court-circuite des mécanismes démocratiques, dans ce qui pourrait alors masquer un ban : ” The problem, as we have identified, is when lawmakers who disagree with the science pause its progress in the guise of deliberation but lack follow through once scientific or moral questions have been answered contrary to their ideology. If such a ban is indeed put forward—or extended— for ideological reasons contrary to the conclusion of scientists and ethicists alike, lawmakers must be upfront about their thinking such that the voters can weigh in on the ideological costs and benefits of a science’s ban, both by contacting their elected officials and, ultimately, by their votes. Otherwise, we risk sidestepping democratic accountability and simultaneously forego untold treasures of scientific discovery.”

A la lecture de la publication de Nature, il semble que les arguments principaux des auteurs ne soient pas d’ordre moraux, ni liés à un caractère “sacré” qui serait reconnu au patrimoine génétique. Ils sont d’ordre scientifique, technique : trop d’inconnues, trop de risques, trop de possibilités d’effets inattendus… L’intérêt médical de telles opérations ne serait pas établi de manière définitive. D’autant que d’autres technologies permettent à des personnes atteintes de maladies génétiques  de ne pas les transmettre à leur descendance. Au cours de la fécondation in vitro, il est possible de recourir à des gamètes saines et de sectionner des embryons non porteurs via un diagnostic pré-implantatoire : “continuing to improve the efficiency of the IVF and PGT processes might be a better, safer, cheaper and more widely applicable solution“.

D’autres objections à la mise en oeuvre d’un moratoire sont venues de la part de Georges Church, professeur de génétique au MIT et de Jennifer Doudna, co-inventeur de la technologie CRISPR Cas-9. G. Church à partir de son compte Twitter, a défendu l’idée que les lois existantes remplissent correctement leur rôle et qu’un moratoire pourrait aboutir à un effet inverse à celui escompté  : “We have laws already (much stronger than moratoria). M can accelerate what they intend to moderate (e.g. ESCs & RDNA). Instead: surveillance, enforcement, whistleblower motivation, equitable access, & actual public health issues.“`

La  tribune défendant un moratoire général a été publiée le 13 mars dernier dans le magazine Nature par 18 spécialistes. Le moratoire est demandé pour une durée de 5 ans et serait accompagné de la mise en place d’un observatoire à la fois pour le recensement et pour les échanges d’informations. Une gouvernance assez souple qui serait mise en place sous la forme d’un volontariat en dehors de tout traité : “We call for a global moratorium on all clinical uses of human germline editing — that is, changing heritable DNA (in sperm, eggs or embryos) to make genetically modified children… we call for the establishment of an international framework in which nations, while retaining the right to make their own decisions, voluntarily commit to not approve any use of clinical germline editing unless certain conditions are met.To begin with, there should be a fixed period during which no clinical uses of germline editing whatsoever are allowed. As well as allowing for discussions about the technical, scientific, medical, societal, ethical and moral issues that must be considered before germline editing is permitted, this period would provide time to establish an international framework”.

Evidemment la mise en place d’un moratoire n’a de sens que pour les pays où la législation dans ce domaine est faible ou inexistante. Les pratiques d’édition du génome à des fins reproductives sont interdite en France à la fois par la loi et par la Convention d’Oviedo, ratifiée par la France. Dans les autres pays, l’encadrement est plus ou moins contraignant.  Or “Already, over 30 countries prohibit this sort of gene editing, either by law, regulation or enforceable guidelines…  So a moratorium is at best redundant in those nations, perpetuating the status quo. It is also liable to cause confusion. If a country or scientific body announces a moratorium as recommended, this could misleadingly imply that germline editing was previously permitted and unregulated. It could also suggest that some countries’ bans will expire in five years, when currently none has a time-limited prohibition” analyse G. Owen Schaefer chercheur à l’Université de Singapour (3). 

Quoiqu’il en soit,  une pensée s’impose pour Lulu et Nana qui démarrent dans la vie sous de bien curieuses auspices. 

 

 

 

 

1- Eric Lander, Françoise Baylis, Feng Zhang, Emmanuelle Charpentier, Paul Berg and specialists from seven countries call for an international governance framework. Adopt a moratorium on heritable genome editing. Nature, 13 mars 2019. https://www.nature.com/articles/d41586-019-00726-5
 
2 – Spivak, Russell and Cohen, I. Glenn and Adashi, Eli Y, Moratoria and Innovation in the Reproductive Sciences: Of Pretext, Permanence, Transparency, and Timelimits (July 21, 2018). Journal of Health & Biomedical Law, XIV (2018) 5-26. Available at SSRN: https://ssrn.com/abstract=3217662 or http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.3217662

3- G. Owen Schaefer. A case against a moratorium on germline gene editing. The conversation https://theconversation.com/a-case-against-a-moratorium-on-germline-gene-editing-113827

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