Lien copié

PMA : pour qui et pourquoi ? 2 questions bioéthiques pour 2018

Share On Facebook
Share On Twitter
Share On Linkedin

La procréation médicalement assistée (PMA) fera partie des sujets débattus lors des états généraux de la bioéthique qui se tiendront tout le premier semestre 2018, en vue d’une révision de la loi Bioéthique prévue à l’automne. Voici quelques éléments pour appréhender ce débat qui tournera autour des personnes autorisées à recourir à une PMA mais aussi sur les finalités qui lui sont assignées.

Petits rappels : la PMA en droit et en chiffres

La PMA, ou « assistance médicale à la procréation » (AMP) pour reprendre la formulation juridique, est définie et régie par les articles L. 2141-1 et suivants du code de la santé publique, issus de la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique. Le terme recouvre « des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, la conservation des gamètes, des tissus germinaux et des embryons, le transfert d’embryons et l’insémination artificielle. »

Très concrètement, il existe trois techniques de PMA, de la plus aléatoire à la plus précise :

En France, l’Agence de la biomédecine a recensé 24 839 nouveaux-nés conçus par une PMA, représentent 3,1% des enfants nés de la population générale en 2015, soit un enfant sur 32. Le pourcentage était de 2,6 % en 2009, soit une augmentation de près de 20 % en six ans.[1]

La PMA ainsi définie pose deux questions qui sont autant juridiques, bioéthiques que politiques. La première – « pour qui ? » – est relative aux personnes qui y ont accès et cristallise l’essentiel du débat politique depuis plusieurs années. La seconde question – « pourquoi ? » – relative aux finalités de la PMA, est directement liée à la première.

La PMA pour qui ?

Qui peut recourir à la PMA ? L’article 2141-2 du code de la santé publique répond très clairement à cette question en ne mentionnant que les couples en situation d’infertilité ou exposés à un risque de transmettre « une maladie d’une particulière gravité » soit à l’enfant, soit à l’un des membres du couple.

L’alinéa 2 dudit article vise uniquement les couples formés d’un homme et d’une femme vivants (ce qui exclut le recours à la PMA à partir des gamètes d’un conjoint décédé), en âge de procréer et ayant consenti préalablement au transfert des embryons ou à l’implantation.

Le débat sur « la PMA pour toutes » tourne autour de la modification de cet article et la question se pose de supprimer le mot « couple » pour viser l’ensemble des femmes, que ces dernières soient seules ou en couple avec un homme ou avec une femme.

Dans son avis du 15 juin 2017, le comité consultatif national d’éthique (CCNE) n’a formulé « aucune opposition » à l’ouverture de la PMA à toutes les femmes. Toutefois, il s’est montré réservé sur le fait de rassembler au sein d’un même avis les situations de couples de femmes et de femmes vivant seules, alors que « les études s’accordent à souligner la plus grande vulnérabilité des familles monoparentales ». Face à ce point de butée, l’avis se borne à indiquer que certains membres ont plaidé pour une distinction entre ces deux types de situations familiales et d’autres pour que des « dispositions d’accompagnement » soient proposées, à l’instar de ce qui existe pour les adoptions, sans pour autant s’avancer sur des propositions concrètes.[2]

Selon un sondage Ifop-La Croix du 4 janvier 2018, une majorité nette de Français seraient favorables à l’ouverture de l’accès à la PMA pour les couples de femmes (60 % des sondés) et pour les femmes seules (57 %).[3]

La question des personnes ayant accès à la PMA est intrinsèquement liée aux finalités de la PMA. Aujourd’hui, cette dernière n’a pour objet que de remédier à l’infertilité ou d’empêcher la transmission de maladies d’une particulière gravité. Si demain toutes les femmes peuvent y recourir sans démontrer « le caractère pathologique de l’infertilité » ou un risque médical, la PMA changera logiquement de finalité.

Dès lors, le législateur sera amené à s’interroger sur ces nouvelles finalités.

La PMA pourquoi ?

 On peut dégager trois raisons principales qui peuvent pousser une femme ou un couple – hétérosexuel comme homosexuel – à recourir à des techniques d’assistance médicale à la procréation.

La première raison, la plus courante et la plus orthodoxe, est la réalisation de son propre projet parental, c’est à dire avoir un enfant pour l’élever soi-même et le cas échéant avec son conjoint. On pourrait ajouter que la PMA, en intervenant à la suite d’une congélation d’ovocytes, permet aux femmes d’avoir un enfant « en temps voulu », après un plus long temps de vie sans charge de famille.

Toutefois, à propos de « l’auto-conservation ovocytaire », le CCNE a exprimé ses plus vives réserves, malgré des divergences internes, à la voir éventuellement autorisée à toutes les femmes jeunes qui en feraient la demande, en vue d’une utilisation ultérieure. Ses réserves sont motivées d’une part par le fait que cette technique ne doit pas apparaître comme une solution magique garantissant une maternité tardive, eu égard aux contraintes dans la collecte des ovocytes et au succès incertain de la FIV-ICSI sur ces ovocytes ; d’autre part par le fait que cette technique ne devrait pas « se substituer à la recherche par la société de moyens permettant aux femmes, selon leur désir et leur choix de vie, de procréer naturellement et plus tôt, sans considérer comme inéluctable d’avoir à différer l’âge de la maternité. »[4]

La deuxième raison, bien moins courante et beaucoup plus controversée, est la réalisation du projet parental d’autrui, c’est à dire avoir un enfant pour le compte de tiers, sans volonté de l’élever soi-même. Dans ce cas de figure spécifique, la technique de procréation médicalement assistée a pour finalité la gestation pour autrui (GPA). A ce jour, la GPA est autorisée dans huit pays européens, selon des cadres juridiques divers : la Belgique, les Pays-Bas, la Pologne, la Slovaquie, la Roumanie, l’Irlande, le Royaume-Uni et le Portugal. En France, toute convention de GPA est interdite en vertu de l’article 16-7 du code civil depuis la loi du 29 juillet 1994.

Selon le sondage Ifop-La Croix précité, 64 % des Français seraient favorables à ce que la GPA soit autorisée[5]. Pour autant, il est peu probable que les débats de cette année sur la loi Bioéthique débouchent sur la légalisation de la GPA, la prohibition actuelle étant soutenue par le Président de la République ainsi que par la (quasi-)totalité des forces politiques représentées au Parlement.

Le CCNE, également attaché à la prohibition, a par ailleurs souligné le nombre important de « risques et de violences, médicales, psychiques, économiques » dans les relations entre les intervenants d’une GPA. Il a même recommandé l’élaboration d’une convention internationale pour l’interdiction de la GPA. Pour autant, il plaide pour la reconnaissance de la filiation d’un enfant né par GPA à l’étranger, dans le respect de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme et de la Cour de cassation[6], mais uniquement lorsqu’est établie une filiation biologique avec au moins l’un des parents français, quitte à la vérifier par des tests ADN en cas de suspicion. Il recommande également que l’état civil garde la trace de tous les intervenants à la convention de GPA et que les enfants y aient accès afin de pouvoir « construire leur identité ».[7]

La troisième raison, qui pourrait être de plus en plus fréquente et qui est en lien avec la première raison évoquée précédemment, est de profiter des techniques de fécondation in-vitro pour réaliser avant implantation un diagnostic génétique des oeufs fécondés en vue de leur sélection, voire de modifier leur génome, cette manipulation étant rendue possible entre autres par le scalpel moléculaire CRISPR-Cas9 de plus en plus précis[8].

A cet égard, les Français semblent massivement favorables à la modification génétique des embryons humains pour guérir les maladies les plus graves avant la naissance (80 %) ou corriger une anomalie génétique (77 %). En revanche, ils rejettent tout aussi massivement (88 %) l’usage de ces technologies pour améliorer certaines caractéristiques des enfants à naître (obésité, couleur des yeux…).[9]

Les questions bioéthiques autour du diagnostic préimplantatoire et de la sélection des embryons font l’objet d’un article spécifique pour le blog Anthropotechnie[10].

 

 

[1] Rapport médical et scientifique de l’Agence de la biomédecine, 2016, https://www.agence-biomedecine.fr/annexes/bilan2016/donnees/procreation/01-amp/synthese.htm

[2] Comité Consultatif National d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), avis n° 126 du 15 juin 2017 sur les demandes sociétales de recours à l’assistance médicale à la procréation (AMP), pp. 18 à 26 http://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/publications/ccne_avis_ndeg126_amp_version-def.pdf 

[3] [3] Ifop-La Croix, « Les Français et les questions liées à la bioéthique », 4 janvier 2018, http://www.ifop.com/media/poll/3938-1-study_file.pdf

[4] Ibid, pp. 9 à 17

[5] Ifop-La Croix, précité

[6] CEDH, 21 juillet 2016, Foulon et Bouvet c/ France, n° 9063/14 et 10410/14 ; C.Cass, 1ere civ., 5 juillet 2017, n° 15-28.597, 16-16.901, 16-50.025, 16-16.455, 16-16.495

[7] CCNE, Avis n° 126, pp. 29 à 40

[8] Emily Mullin, « CRISPR 2.0 Is Here, and It’s Way More Precise », MIT Technology Review, 25 octobre 2017, https://www.technologyreview.com/s/609203/crispr-20-is-here-and-its-way-more-precise/

[9] Ifop-La Croix, précité

[10] par l’auteur de ces lignes, « Sélection des embryons : le besoin urgent d’un débat bioéthique », Anthropotechnie

0 commentaire

Commenter

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Champs obligatoires*