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Encéphalogramme plat pour la politique du cerveau.

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Les progrès de la recherche en sciences du cerveau « ne se cristallisent pas encore sur des questions de société suffisamment précises pour donner lieu à des prises de position tranchées »” constatait le CCNE (1) à l’issue des Etats-généraux organisés au printemps 2018.  Une faible politisation s’observe aussi chez les députés. Rien à ce sujet dans les 60 propositions des députés pour la bioéthique, publiées en janvier 2019 (2).  L’encéphalogramme est plat aujourd’hui pour la politique du cerveau. Mais les neuro-technologies pourraient bien constituer quand même le prochain grand dossier en bioéthique. 

La raison de cette léthargie parlementaire ?  Si les moyens d’explorer et d’actionner le cerveau existent, leurs utilisations ne sont pas monnaie courante. Elles sont peu observées et commentées, encore moins débattues. Pourtant “we are on a path to a world in which will be possible to decode people’s mental process and directly manipulate the brain mechanisms underlying their intentions, emotions and decisions” prévenaient en 2017 un groupe d’une vingtaine d’industriels et de chercheurs, dans une tribune publiée dans la revue Nature. Les auteurs soulignaient par la même occasion l’importance du projet économique et des investissements industriels effectués dans ce domaine. Si les neurotechnologies non invasives à l’usage des particuliers pour l’amélioration des capacités cérébrales sont fortement critiquées à la fois du point de vue de la sécurité et de l’efficacité, le marché est néanmoins évalué à 3 milliards de dollars pour 2020 (3).

Les pratiques progressent parallèlement aux découvertes concernant les mécanismes neuronaux et leurs corrélations avec les états mentaux, la pensée et les comportements. Ces nouvelles connaissances sont portées par l’imagerie cérébrale (CEA) et la modélisation (Human Brain Project européen et tous les autres projets semblables à travers le monde). Les objectifs sont vastes : traiter la maladie de Parkinson, l’épilepsie et la dépression. Faire remarcher des tétraplégiques (EPFL, Clinatec), reparler les aphasiques (projet européen Braincom), effacer les souvenirs traumatiques de la mémoire (DARPA)… mais aussi améliorer les performances cognitives et d’apprentissage, ou moduler les humeurs. La gamme des neuro-technologies va des substances chimiques qui modifient le fonctionnement cérébral (psychotropes) aux  instruments de stimulation qui relient le cerveau à des algorithmes via des électrodes implantées chirurgicalement, en passant par ceux qui disposent de capteurs posés sur le scalp, qui enregistrent à travers le crâne les signaux cérébraux.

En dehors du soin des maladies, ces pratiques restent difficilement quantifiables. Dans ce désert politique, émerge seulement  le cas – observable et observé – des psychostimulants pour améliorer l’attention, Ritaline/Aderall/Modafinil.., massivement utilisés autant que massivement controversés. La DARPA, agence liée à l’institution militaire aux Etats-Unis, publie régulièrement ses travaux de recherche sur la restauration de la mémoire et la stimulation des capacités cognitives. Pour les militaires, la dangerosité (et l’interdiction) de l’acte chirurgical d’implanter une électrode, même miniaturisé, dans le cerveau, booste la recherche en faveur de dispositifs qui seraient simplement posés sur le crâne. En dehors des multiples problèmes éthiques et des risques pour la santé, la difficulté technique est que, aujourd’hui, plus la distance aux neurones est importante, moins le signal est bon.

Elon Musk et des dirigeants de Facebook, avaient annoncé dans le courant de l’année 2017 les lancements, pour le premier d’un implant cérébral connecté en dentelle, Neuralink, pour les seconds de dispositifs de télépathie permettant de transmettre des messages par la pensée. Les annonces semblent pour l’instant être restées sans suite. A l’époque, étrangement, personne n’avait soulevé d’objection à l’idée de banaliser la connexion du cerveau à des algorithmes. 

En France, la loi de bioéthique de 2011 a posé les bases d’une l’utilisation de l’imagerie cérébrale dans le cadre de l’expertise judiciaire (Art 16-14 CCiv).  Pas grand-chose à signaler à la lecture des rapports publiés au cours de ces derniers mois à l’occasion de la révision des lois de bioéthique.  Le Conseil d’Etat préconise un encadrement spécifique des données neurales, qui serait renforcé par rapport aux autres données de santé. Le CCNE émet quant à lui de fortes réserves sur l’utilisation des IRM fonctionnels dans le marketing, l’embauche et les assurances. Dans la même perspective, l’OPECST (5) évoque risque de surévaluation de l’imagerie cérébrale, appelle le législateur à mieux en préciser le cadre et la finalité des explorations.  Il évoque également la question du stockage des données cérébrales enregistrées et leur anonymisation.

Le cerveau technicisé s’ouvre à l’imagerie et à l’enregistrement, devient actionnable par des technologies, et donc modifiable exactement comme les autres organes. La question qui hante la réflexion éthique est l’impact de ces dispositifs sur l’autonomie et le consentement des personnes. Aujourd’hui dans le grand projet du couple neurosciences-intelligence artificielle, le cerveau sert de modèle à IA dans le Deep learning, et l’intelligence artificielle permet de modéliser le cerveau. Le cerveau humain – éventuellement amélioré et peut-être connecté – non content de penser sa propre conscience, doit aussi penser les conditions de son adaptation à l’IA – ou plutôt l’inverse.

 

 

 

1 – CCNE Conseil National Consultatif d’Ethique. https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/publications/avis_129_vf.pdf, p. 85-87. 

2- Mission d’information de l’Assemblée Nationale pour la révision des Lois de bioéthique. http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/Revision_loi_bioethique

3- “The market for direct-to-consumer brain health products—including brain-training games, neurostimulation devices, and consumer electroencephalography (EEG) devices—is expected to top $3 billion by 2020” Anna Wexler et Robert Thibault. Journal of Cognitive Enhancement. Mind-Reading or Misleading? Assessing Direct-to-Consumer Electroencephalography (EEG) Devices Marketed for Wellness and Their Ethical and Regulatory Implications. https://doi.org/10.1007/s41465-018-0091-2

4 – Conseil d’Etat. Révision des lois de bioéthique, quelles options pour demain ?http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Etudes-Publications/Rapports-Etudes/Revision-de-la-loi-de-bioethique-quelles-options-pour-demain

5 – OPECST, Office Parlementaire d’Evaluation des Choix scientifiques et Techniques.L’évaluation de l’application de la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique. http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-off/i1351.asp

 

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