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La révolution transhumaniste

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Le Transhumanisme entend renoncer au tragique de l’existence humaine, renoncer à vivre au prix de la crainte d’une mort et de souffrances annoncées.  Cette idée est, on s’en doute, favorablement accueillie par le le commun des mortels. Mais ce renoncement à la tragédie humaine porte en lui-même, à bien lire Luc Ferry, une autre tragédie : la dépossession démocratique. Et celle-là aussi pourrait bien être fatale aux humains dans l’abdication de la maîtrise de leur propre existence, de « l’avenir biologique et spirituel de l’identité humaine ».

Luc Ferry décrypte les arcanes de cette pensée venue d’outre atlantique dans les années 1980. Une pensée d’inspiration libertarienne, développée autour de l’idée d’une libre disposition de son corps, aujourd’hui davantage sociale-démocrate dans la volonté, le devoir moral selon certains, de rendre accessible les améliorations humaines au plus grand nombre. L’auteur présente un mouvement qui a, il faut le reconnaître, le mérite de poser clairement et sans faux semblants, les perspectives d’une amélioration de la condition humaine liée aux innovations techniques et biomédicales : l’allongement de la durée de vie, une médecine préventive, précise et efficace, l’amélioration des capacités cérébrales, le concours omniprésent de l’intelligence artificielle et des robots… Les ouvrages des auteurs transhumanistes et leurs commentaires créent les conditions d’une salutaire prise de conscience, on le voit bien avec les nombreux et vifs débats occasionnés par la sortie de ce livre.

Le nœud du livre : la Dépossession démocratique

Là où le bât blesse c’est que, en présentant de nouvelles pratiques comme étant inéluctables, les auteurs transhumanistes entretiennent par la même occasion une évidente dépolitisation du sujet, ce que Luc Ferry nomme la dépossession démocratique. Le courant transhumaniste rassemble une pensée centrée autour d’un droit individuel à profiter de toutes les techniques pour une amélioration maximum, radicale, de son propre corps. L’idéal dans cette perspective, consiste à se dégager des contraintes d’une enveloppe biologique par tous les moyens techniques et biomédicaux envisageables. Il n’y aurait, face à cet idéal, pas d’autre voie qui pourrait être discutée pour l’avenir de l’humanité. Les auteurs de la mouvance transhumaniste admettent d’emblée la validité morale et éthique de toutes les techniques d’amélioration humaine. Pour eux, le progrès ne serait qu’un destin, une flèche[1] sur laquelle les humains n’auraient aucune prise. En définitive, le contraire de l’idée de départ, c’est à dire de l’émancipation des humains. À ces nouveaux pouvoirs des hommes sur leur propre corps, correspondrait donc pour Luc Ferry une perte de pouvoir des hommes sur leur devenir. Un pari faustien, comme le dénonce depuis de nombreuses années Laurent Alexandre, autre grand observateur de ce courant.

Ce renoncement ne se ferait donc d’aucune manière dans une sublimation de l’existence. La modification humaine vaut, dans l’idéologie transhumaniste, en elle-même et vaut surtout par les moyens techniques mis à sa disposition. La raison transhumaniste est non pas une raison pure, mais purement instrumentale. Dans le credo transhumaniste, ce sont les moyens qui constituent le sens. En dehors de toute référence extérieure, l’amélioration humaine constitue en elle-même une force narrative, celle qui caractériserait l’histoire de l’humanité.

luc ferry transhumaLuc Ferry nuance son propos dans une distinction entre un bon et un mauvais transhumanisme.  Le bon est celui qui rend « l’humain plus humain ou meilleur parce que plus humain » ; le mauvais est celui qui déshumaniserait l’homme « voire engendrerait une nouvelle espèce, celle des posthumains » des êtres hybrides, améliorés dans leur intelligence et augmentés dans leurs capacités. Cette justification du transhumanisme ordinaire constituerait, selon certains détracteurs du courant, une manière de permettre à l’autre transhumanisme de se frayer un chemin dans les esprits.

La pensée transhumaniste, ainsi présentée par l’ancien ministre, reste cependant un courant limité au monde occidental contemporain. Est-il certain que la recherche en Chine, qui semble assez déterminée à poursuivre des objectifs de manipulation génétique, en particuliers pour identifier les variants génétiques de l’intelligence, se considère comme transhumaniste et réfléchisse à ce concept en tant qu’idéologie ? Probablement pas. La mise en valeur d’un courant de pensée transhumaniste ne permet pas nécessairement d’interpréter toutes les forces à l’oeuvre pour l’amélioration des capacités humaines, notamment des pratiques qui ressortent plus prosaïquement de la compétition économique mondiale et d’énormes enjeux militaires.

Dans le contexte de cette mondialisation décrite par Luc Ferry comme « une formidable lame de fond ultra libérale, tout à a fois dérégulatrice et vénale qui se profile à l’horizon », quel sens donner à l’existence humaine ? Faut-il transformer l’homme ou plutôt transformer ce monde qui l’entoure ? La lecture du livre de Luc Ferry éclaire ces deux questions abyssales.

[1] La métaphore d’une flèche du progrès a été formulée en 2007 par Bernadette Bensaude Vincent dans Les vertiges de la technoscience. Façonner le monde atome par atome. Paris : La Découverte, 2009.

Article initialement publié sur Trop Libre, le 9 mai 2016

 

 

 

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