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Utérus artificiel : de quoi s'agit -il ?

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Absente aujourd’hui des débats publics, la question de l’utérus artificiel, ou ectogenèse, pourrait bien refaire surface… Le programme européen Horizon 2020 finance des recherches en vue de mettre au point un prototype d’utérus artificiel (1). L’objectif de la recherche, d’ordre thérapeutique, correspond au projet de soigner et de prendre en charge d’enfants nés non viables car avant-terme. Reviennent à l’esprit les images spectaculaires d’une poche de plastique transparent abritant le développement en laboratoire d’un fœtus d’agneau. Des chercheurs du Children’s hospital de Philadelphie avaient entrepris de cette manière en 2017 le développement d’un agneau respirant dans une poche remplie de liquide, reliée à de multiples tubes imitant un utérus de mouton et qualifiée de « biobag ».

Ces projets portent-ils sur des extensions de couveuse ou s’agit-il d’ectogenèse partielle, c’est à dire quelque chose de nouveau qui s’apparenterait à un utérus artificiel ? Auquel cas de nouvelles et fondamentales questions se posent. La qualification de « bébé » ou de « fœtus » pourrait-elle  s’appliquer à des enfants qui seraient placés dans des utérus artificiels ?  Ces enfants ne seraient ni nouveau-nés, ni prématurés, pas plus qu’ils ne seraient des fœtus in-utero, soutient Elizabeth Chloé Romanis, chercheur à l’Université de Manchester. Cette clarification sémantique constitue, selon elle, un préalable indispensable à une réflexion sur le sujet de l’utérus artificiel. E. Romanis propose, pour éviter toute confusion, de recourir au terme « gestateling », en cas de développement d’un enfant en dehors d’un utérus humain. Sans toutefois s’attacher au statut moral qui serait celui d’un enfant « gestateling », E. Romanis défend l’idée qu’un utérus artificiel devrait être considéré comme un concept nouveau, car sa finalité se place au-delà du soin d’enfants nés avant terme.

Certains soulignent qu’entre le développement in vitro de plus en plus long pour les embryons et les couveuses pour prématurés de plus en plus sophistiquées, une bonne partie de la question technique serait déjà résolue. La période de développement des embryons in vitro dépassent aujourd’hui les14 jours. Quant aux couveuses pour les soins intensifs néonataux, elles abritent des bébés de plus en plus prématurés : certains passent les 3 derniers mois de leur développement en couveuses. Une différence fondamentale pourtant persiste et par là même un problème technique non résolu entre une couveuse et un utérus artificiel. L’utérus abrite un bébé qui ne respire pas. Dans une couveuse, même si les poumons des prématurés ne sont pas matures et qu’ils bénéficient d’assistance, ces poumons fonctionnent. Les poumons des enfants nés avant 22 semaines ne peuvent pas se déployer. Les technologies déployées dans les couveuses sont insuffisantes pour leur permettre de vivre. Les recherches en cours visent à rendre possible la prise en charge de ces bébés-là. Si les avancées des soins aux enfants prématurés constituent un immense motif de satisfaction, il est temps de se pencher sur cette question :  dans quelle mesure l’avenir de la reproduction passera t-elle par ce que certains désignent par l’étrange expression « mode de reproduction alternatif » ?   

L’avancée des technologies semble justifier la relance d’un débat amorcé dans les années 30 quand un généticien britannique, John Haldane avait imaginé le développement d’embryons en dehors du corps de la femme, et probablement inspiré Aldous Huxley pour son roman « Le meilleur des mondes ».  Dans un essai intitulé « L’utérus artificiel » un autre généticien, Henri Atlan, considérait en 2005 que l’utérus artificiel allait rapidement constituer la nouvelle révolution dans le domaine de la reproduction humaine, après la pilule contraceptive, l’insémination artificielle et la fécondation in vitro. 

Au-delà des problèmes de terminologie, le développement de bébés qui se ferait en dehors du corps d’une femme correspond t-il à l’idée que l’on se fait d’un être humain ? Pour la fécondation in vitro, pratiquée depuis les années 1980, les pratiques sont désormais banalisées. Pour le développement des embryons ex-utero, deux séries d’interrogations fondamentales persistent.

La première relève de conséquences existentielles d’une venue au monde qui serait indépendante de toute relation humaine, de toute relation maternelle. Car – et même si certains envisagent un utérus recréé à partir de cellules souches de la mère – quel serait le développement des sens, des sentiments et des émotions d’un bébé qui n’aurait connu, entre sa conception et sa première respiration, aucun lien affectif humain, aucune humanité autrement que par l’ouïe ? Quels seraient les conséquences de cette expérience inédite de non-communication et de non-transmission pour des enfants qualifiés de « gestateling » ? La seconde série d’interrogations, plus théorique, est celle des valeurs attachées à l’être humain du fait de sa naissance. Cette question se concentre dans l’idée d’une venue au monde qui ne serait pas une naissance. Comment réfléchir à l’hypothèse d’un enfant qui viendrait au monde depuis un utérus artificiel, contrôlé depuis la conception jusqu’à la venue au monde par des machines et des algorithmes automatisés ? Parentalité, solidarité intergénérationnelle, égalité fondamentale des humains liés à une naissance originelle commune… :  nombre de valeurs qui constituent le socle de la société humaine en seraient déstabilisées. 

 

 

 

Journal of Medical Ethics 2018;44:751-755.

 

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