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Accroître la mémoire : performance et ambiguïtés

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La prise de méthamphétamine pourrait développer la mémoire en favorisant la production de nouveaux neurones.

Dans la revue e-neuro, des chercheurs de l’Institut du Cerveau et de la Moelle Epinière, ICM,  ont publié en juillet dernier des recherches pour démontrer comment la méthamphétamine, METH, pourrait, à faible dose, soutenir la formation et la consolidation de nouveaux neurones impliqués dans la mémoire. Cette molécule psychostimulante augmenterait ainsi les performances des personnes en bonne santé : “l’administration à moyen de terme de faibles doses de METH renforce la plasticité synaptique à un stade spécifique de maturation des cellules granulaires du gyrus denté et pourrait donc affecter positivement les performances de la mémoire » précise l’ICM dans un article en ligne intitulé Une drogue pour booster la mémoire ?  

Dans cette démarche de recherche neuroscientifique, on peut se demander quels enjeux sociaux sous-tendent cette volonté d’améliorer les performances de la mémoire. Imaginer les avantages qui en résulteraient pour la scolarité, les études, la vie professionnelle d’individus dotés de mémoire augmentée est assez aisé. Penser le problème dans sa dimension politique ramène au vaste débat contemporain sur les perspectives d’augmentation des capacités humaines, défendues par le courant de pensée transhumaniste.

De spectaculaires moyens biomédicaux d’amélioration des capacités cérébrales se développent aujourd’hui avec la mise au point d’interfaces entre l’hommes et les machines, par l’intermédiaire de moyens invasifs ou non, de capteurs, d’implants. Certes plus traditionnels, certains moyens pharmacologiques pourraient receler encore bien des promesses, même si la complexité biochimique en rend le maniement délicat : tout dépend du dosage. Une prise selon des modalités opposées, c’est à dire quotidienne et prolongée, de la molécule psychostimulante METH qui appartient à la célèbre et addictive famille des amphétamines, provoquerait selon les chercheurs des effets inverses sur les capacités cognitives.

La prise de psychostimulants pour modifier les états de conscience et le comportement des individus est une histoire très ancienne. Dans son ouvrage « Histoire des amphétamines », Pascal Nouvel, philosophe et biologiste, retrace l’histoire politique des psychostimulants et montre l’omniprésence de la thématique de l’amélioration de l’activité cérébrale en Europe depuis le XIXème siècle. L’auteur décrit les ambiguïtés de la politique pour cette « pharmacologie de l’esprit ». Très vite est apparue l’ambivalence intrinsèque de la substance chimique, à la fois drogue et médicament, certaines substances comme le haschich pouvant diminuer les fonctions cognitives tandis que d’autres comme la cocaïne, les augmentant. La consommation des molécules de la famille des amphétamines « va introduire au cœur de la notion de santé, une sorte de jeu, une indéfinition, que la philosophie de l’époque commençait à peine à mettre au jour » explique Pascal Nouvel. La politisation des différents usages et pratiques a émergé, la licéité des substances va évoluer dans le temps. Les amphétamines et leurs dérivés acquièrent une valeur thérapeutique puis redeviennent illicites dans la première moitié du XXème siècle.

Si aujourd’hui les ambiguïtés politiques du licite/illicite ne sont pas toutes levées, de nouvelles questions toutes aussi brûlantes émergent avec la difficulté de tracer une frontière entre la réparation et l’augmentation des capacités humaines. La perspective de moyens technologiques destinés à augmenter la mémoire de personnes non malades, en l’absence de trouble ou de pathologie, appelle un cadre de réflexion nouveau.

Comment interpréter la volonté d’augmentation de la mémoire des individus qui se profile derrière les travaux de recherche ? Mettre à jour les intentions de telles pratiques et analyser les valeurs sociales qui se cachent derrière la recherche de performance pourraient apporter quelques éclairages. Les intérêts des individus pour l’amélioration de la mémoire sont sans doute très variables, que ce soit l’intérêt futur des enfants dans le processus instable de développement des capacités cognitives, celui de leurs parents en fonction de leurs préférences en matière d’éducation, ou encore celui de l’Etat à développer le « capital cognitif » de ses citoyens comme un enjeu national. Dans le domaine de la médecine, les arguments de la régulation des médicaments reposent sur une balance de bénéfice/risque et des normes thérapeutiques (diagnostic, prévention et traitement). Outre la difficulté qui ressort du domaine pharmacologique de la sécurité et des effets inattendus, réfléchir à un domaine qui se situe au-delà de la médecine appelle sans doute de nouveaux concepts, construits autour de l’idée que chacun se fait de la personne humaine.

 

Pour en savoir plus : 

http://icm-institute.org/fr/actualite/une-drogue-pour-booster-la-memoire-2/

https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/27419216

Pascal Nouvel. Histoire des amphétamines. Paris : PUF, 2009.

 

 

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