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Auto-transformation des humains : questions d’hier et d’aujourd’hui.

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Dans la lourde interrogation contemporaine qui porte sur l’auto-transformation des humains, liée notamment aux avancées des technologies de séquençage et d’édition du génome, se retrouvent des idées très anciennes. Bien avant l’idée d’une possible hérédité, Platon réfléchissait aux conditions d’une « bonne » descendance et à la manière de procréer. Le philosophe observait que : « dans un État où les citoyens doivent être heureux, il ne peut pas être permis de former des unions au hasard ou de commettre des fautes du même genre, et les magistrats ne devront pas le souffrir. En effet, cela ne doit pas être. Il est donc évident après cela que nous ferons des mariages aussi sains qu’il nous sera possible, et les plus avantageux à l’État seront les plus sains. » Voilà notamment ce que rappelle Pierre-André Taguieff dans un livre édité dans la collection Que sais-je, ayant pour titre « L’eugénisme »,  et portant sur le très large panorama des possibles définitions et de l’évolution de cette volonté d’auto-transformation des humains à travers les âges. Dans cette auto-transformation de l’espèce humaine évoquée par l’auteur, si les moyens sont nouveaux , « les pouvoirs acquis par la techno-science », les objectifs eux sont immémoriaux. L’objectif consiste à disposer de davantage de contrôle sur la condition humaine, et de la faire évoluer dans une perspective qui serait favorable aux humains.  

Avec la découverte des lois de l’hérédité, l’idée émerge qu’il serait possible d’agir sur les mécanismes de transmission des traits -à la descendance. Parmi les nombreuses définitions de l’eugénisme, ou eugénique,  proposées par l’auteur, celle de Julian Huxley, dans les années 1930, parait la plus large  : « le but de l’eugénique est de diriger l’évolution de l’espèce humaine et de la guider dans une direction désirable “. Dans une remise en perspective historique le projet – qui oscille « entre le projet sociopolitique de créer une aristocratie biologique ou une surhumanité et le désir individuel ou parental d’avoir un enfant parfait grâce à diverses techniques biomédicales »-  reste sous-tendu par la croyance en des inégalités qui seraient génétiquement déterminées. Le décrypage du génome laisse entrevoir, dans les années 2000, des possibilités d’interventions directes sur les gènes, même s’il est très vite apparu que les influences des variants génétiques sur les différents traits étaient beaucoup plus complexes que prévu. Il s’agissait d’en finir avec la loterie génétique,  de passer «  de la chance au choix » dans l’immensité de l’aléatoire de la condition génomique, qui – il est vrai – se soucie assez peu des souffrances humaines. L’auteur rappelle que, dans le grand élan d’espoir des modernes, un eugénisme dit libéral, c’est à dire domestique ou individuel, se conçoit alors par opposition à un eugénisme dit d’Etat nécessairement tyrannique et consiste à « remplacer le hasard par des choix rationnels en matière de reproduction humaine ». Reste évidemment à se mettre d’accord sur les valeurs qui fondent et sous-tendent les choix dits rationnels. Un autre problème réside dans le fait que cet eugénisme dit libéral consisterait pour des adultes à imposer aux futurs enfants des préférences arbitraires qui les détermineraient. Le philosophe allemand Jürgen Habermas évoque à ce sujet une « violence intergénérationnelle ». La transmission des modifications à la descendance et plus généralement la question de la propagation génétique viennent encore compliquer le débat.

Le livre aurait pu avoir pour titre “Comment penser les nouvelles technologies de reproduction et les possibilités de modification du génome humain ».  Evidemment, ce titre aurait pu paraitre un peu long. Le mot «eugénisme», à l’inverse, dans son isolement, dans la rapidité de sa séquence, est tellement chargé du poids de l’épouvante, irrémédiablement associé à des doctrines d’état tyranniques et inhumaines, que la réflexion en est rendue difficile. Quelle réflexion ? celle qui est aujourd’hui nécessaire pour accompagner les avancées de la science et des technologies dans des technologies de reproduction et des possibilités d’interventions directes sur le génome (CRISPR-Cas 9). Celle qui porte aussi certains à se demander dans quelle mesure certaines méthodes émergentes de dépistage et de diagnostics prénataux ou pré-implantatoires, pourraient être qualifiées ou non des pratiques eugéniques. Aujourd’hui avec les nouveaux moyens d’intervention sur le génome, dans l’objectif d’une “santé parfaite” – comme pour de très nombreux sujets lié aux possibilités de transformation du vivant humain – l’une des principales difficultés reste l’absence de frontière entre le traitement de maladies et le domaine de l’amélioration humaine, dont les justifications sont toutes aussi différentes que controversées (1).

L’écueil à éviter serait de réfléchir à l’auto-transformation de l’humain en se penchant sur sa condition génomique au détriment de la réflexion sur les autres influences. Les généticiens Dominique Stoppa-Lyonnet et Stanislas Lyonnet rappelaient ainsi que “…la part de soi qui n’est pas déterminée, n’est-elle pas la plus importante car, par essence, c’est sur elle qu’on peut espérer agir ? Ainsi se dessine l’un des champs humanistes de la génétique moderne : définir ce qui n’est pas génétique (2)“.  La génétique moderne se joue alors de son image traditionnelle, de la toute puissance du gène. De ce point de vue, un ouvrage entièrement consacré aux modifications du génome humain présente une immense valeur historique. Mais reste insuffisant comme outil de réflexion sur les transformations du vivant humain par les nouvelles technologies. 

Reste cette question fondamentale que se pose P. A. Taguieff  : « savoir si l’on va entrer avec jubilation et enthousiasme dans un nouvel âge de histoire dans lequel les humains seront capable de changer la nature de leur espèce en « transcendant » les limites de la condition humaine”.  Au delà de possibles « freins moraux » et de la valeur morale d’une sanctuarisation du génome, un autre conflit de valeurs est aujourd’hui pour l’auteur «insurmontable” : égalité des chances d’un coté et instrumentalisation/normalisation des enfants par les adultes de l’autre. L’analyse de ces conflits conduit P. A. Taguieff  à cette conclusion désabusée : « Depuis la fin du XXe siècle Promethée renait de ses cendres. Ayant épousé les valeurs individualistes, il refait irruption dans l’histoire post-totalitaire de l’humanité, comme porté par le principe d’imprécaution, qui pousse l’espèce humaine vers l’aventure infinie, quoi qu’il lui en coûte. Cette démesure n’est pas dépourvue d’une certaine grandeur. Même s’il est vrai que l’abîme la guette ». 

 

 

1 – Pierre André Taguieff. L’eugénisme. Paris : PUF, 2020. 9 euros. 

2  – « Il ne faut pas minimiser dans le contexte présent le développement d’un eugénisme s’appuyant non seulement sur le refus du handicap, de la différence, mais aussi sur la perspective individuelle ou sociale, de capacités augmentées séduisantes pour les tenants du transhumanisme, constituant une sorte d’émancipation de la nature humaine. Cependant, la correction au stade embryonnaire d’un gène altéré par une mutation, entrainant fatalement à la naissance, ou dans les premières années de vie, des souffrances, tant physiques que morales, voire le décès, parait relever non pas de l’eugénisme, mais du soin ». Conseil Consultatif national d’éthique. Ethique des modifications ciblées du génome. Avis n° 133, 2020. 

3 – Dominique Stoppa-Lyonnet et Stanislas Lyonnet. Les 100 mots de la génétique. Paris : Que sais-je, PUF, 2017.

 

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