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Le vivant : ce qui résiste à la stabilité.

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De l’inerte dans le vivant et du vivant dans l’inerte. A l’heure où les humains s’hybrident de multiples objets -connectés -plus ou moins intrusifs, à l’heure où des robots semblent pouvoir être constitués de cellules vivantes (1)  la question de la frontière entre l’humain et la machine, entre le vivant et l’inerte n’est pas vaine. 

Dans le livre Infravies, le vivant sans frontière, Thomas Heams cherche à savoir ce que recèle le monde infravivant, cette zone grise entre l’inerte et le vivant. Sa réponse : le vivant réside dans ce qui résiste à la stabilité. L’auteur, maître de conférences en génomique animale à AgroParisTech et chercheur à l’INRA,  explore cette zone grise entre l’inerte et le vivant. Il écarte l’idée d’un point de départ clair, de l’existence d’un seuil et partage avec d’autres auteurs l’idée d’un continuum davantage que d’un point de bascule. Dans cet « espace des possibles » le monde infravivant apparait comme « une modalité particulière d’un rapport de tension dynamique avec le minéral, non plus une rupture avec lui mais le point avancé d’un de ses états limites »

 T. Heams conteste ainsi toute idée de nature « machiniste” du vivant et ses implications sociales,  ce « système anthropologique de représentation du monde »,  cette idée que le vivant puisse entre décrit comme une machinerie de précision, que “les êtres vivants seraient en fait des machines dont les composants sont des biomolécules ».   Contre l’idée de la vie comme « un chemin vers l’ordre »,  T. Heams défend la thèse que la vie serait alors justement «pour une bonne part, ce qui résiste, selon des modalités particulières, à l‘ordre et à la stabilité ». Ne cédant en rien devant la complexité de son sujet,  il s’insurge contre ceux qui baissent les bras devant la difficulté de définir le vivant, qu’il qualifie de « relativisme insolent»,  et propose à l’issue de l’examen de nombreuses théorie des décennies et siècles passés et de leurs limites,  comme une « base de travail» l’idée que le vivant soit « un système chimique capable d’être en équilibre dynamique avec son environnement, de proliférer et d’évoluer d’une génération à une autre ». Son récit traverse les origines,  l’abiogenese « où comment le vivant extirpe du minéral », il aborde d’ autres mondes,  la possibilité de l’existence d’autres phénomènes vivants, d’autres modèles de vie, une biosphère de l’ombre, d’une vie étrange, comme le nomment les auteurs de science fiction. La vie étrange, est cette «idée qu’il pourrait exister, aux cotés du monde vivant que nous connaissons et que nous pensons entièrement unifié, une autre biosphère, reposant sur d’autres molécules, d’autres dynamiques, d’autres échanges ».  

Au delà des difficultés de définir le vivant, l’auteur se penche aussi sur l’immense responsabilité de “fabriquer” du vivant, et de l’éthique de la recherche en biologie de synthèse,  c’est à dire la fabrication du vivant en laboratoire. On apprend d’ailleurs au passage que le mot biologie synthétique a été inventé en 1912 par un medecin nantais Stéphane Leduc.  L’auteur situe le lancement académique de la biologie de synthèse en 2004 au MIT, sur le campus de Cambridge, à l’occasion d’un congrès qui permis de créer un « écosystème de recherche inter-disciplinaire, et faire converger des physiciens, modélisateurs, électroniciens, ingénieurs et mathématiciens, vers la biologie expérimentale pour la transformer d’une sciences descriptive en une ingénierie rationnelle ». La biologie de synthèse est celle des protocellules « modéliser et obtenir expérimentalement, à partir d’un point de départ physico-chimique, un système minimal ou protocellule, qui possèderait et intègrerait les propriétés classiques et complètes du vivant », et de la xenobiologie qui « vise à tester le possible remplacement des quatre constituants moléculaires de l’ADN par d’autres éléments » et l’exobiologie. Il critique la logique marchande appliquée aux expériences de biologie de synthèse, les projets de privatisation de telle entités, de « pièces détachées » de vie,  et souligne a nécessité d’écarter le vivant des exigences du marché.  Il met en garde  contre « un sous entendu implicite derrière l’idée qu’une cellule simplifiée puisse être un châssis à compléter » », contre les projets d’appropriation et de privatisation du vivant qui se feraient sur la base  d’“un monde vivant où les entités peuvent se découper en modules, où l’on peut les concevoir comme des châssis à compléter, ou comme des circuits imprimé ».

Biologie synthétique : comment transformer une transformation ?

Au  chapitre de l’éthique des interventions sur le vivant, T. Heams souligne la gageure qui consiste à “transformer une transformation”. Comment transformer un monde vivant essentiellement changeant :  « Transformer le vivant », comme le propose la biologie de synthèse, et parfois les biotechnologies en général, c’est donc transformer une transformation : ce n’est pas en soi impensable, mais cela change beaucoup les enjeux, et parfois les prétentions de ceux qui s’y emploient”

Appliqué au vivant humain et aux aspirations relatives à un humain qui serait augmenté, cette logique d’instabilité du vivant défie pour T. Heames les aspirations des auteurs du courant de pensée transhumants, qui voudraient  “que le vivant soit réductible à une quantité organisée, de pièces, de constituants, de rouages ciselé ». A l’inverse «  les infravies, fragiles, transitoires, et pourtant indispensables nous montrent une voie nouvelle qui se passe de la qualité et de la quantité, mais qui nous conduit à penser le vivant en termes d’intensité ». On pourrait objecter que les aspirations des auteurs du courant de pensée transhumaniste ne se laissent pas non plus classifier de manière aussi rigide.  Il reste que les propos de T. Heames vient contribuer à une reflexion renouvelée sur les valeurs attachées à ce “vivant”.

 

Thomas Heames. Infravies, le vivant sans frontières. Paris : Seuil, 2019. 

1- Des robots biologiques : voir article du 22 janvier 2020 de ce blog. 

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