Le projet cyborg devenu réalité, quel est son avenir ?
Le cyborg va-t-il survivre au passage de la matérialité à la virtualité ? Mi humain-mi machine, le cyborg, dans son acceptation d’origine, reste soumis à l’Évolution. Le projet serait-il dépassé par une démarche contemporaine visant à libérer totalement le corps de ses frontières biologiques ?
Dès 2005, Ian Hacking affirmait « je dis adieu aux cyborgs car nous avons besoin d’une métaphore moins ancrée dans le passé pour exprimer l’effacement. L’effacement, peut-on dire des essences habituelles, et donc des identités familières ». Le philosophe explique, dans une intervention intitulée Adieu chers cyborg, de quelle manière, à ses yeux, la pensée transhumaniste tend vers « une évolution à partir d’une espèce douée d’attributs essentiels, vers une espèce (si elle est encore une espèce) sans essence », sans attributs fondamentaux.
D’un point de vue étymologique, le mot cyborg est une contraction de l’expression cybernetic organism. Le mot cybernetic a été créé en langue anglaise en 1947 par Norbert Wiener à partir du mot grec kubernétés, traduit en français par le mot timonier, dans une idée de guidage. Le mot est issu de théories mathématiques qui décrivent des propriétés de systèmes ou de processus de mesure de l’information. Dans le dispositif classique du cyborg, la technologie qui lui est associée rétroagit : « les actions et les effets de ce dispositifs sont modulés par la rétroaction » décrit Ian Hacking. Voilà pourquoi posséder un implant dentaire ou conduire une voiture ne fait pas d’un individu un cyborg. Le mot cyborg serait pourtant incapable aujourd’hui d’exprimer les nouvelles aspirations au virtuel, puisqu’il s’attache à décrire un organisme qui conserve une part d’humain.
Le cyborg dès sa création a été porteur de significations politiques : « le cyborg est un corps historiquement constitué et non innocent » selon Marie Geneviève Pinsard qui analyse les dimensions du cyborg dans l’Encyclopédie du transhumanisme. Vivre ailleurs (espace), vivre différemment, vivre mieux : le point commun aux cyborgs est de décliner les significations politiques du corps et de ses possibles transformations. Dans l’apport de technologies au corps humain l’idée, en dehors de visées médicales, reste de développer l’autonomie des humains.
Les cyborgs, des projets politiques
Les trois exemples suivants illustrent ces dimensions politiques du cyborg, de la guerre froide au transhumanisme, en passant par le féminisme.
- Cyborgs et espace. Tout au début de l’histoire des cyborgs, en 1960, se trouve la publication, à la demande de la NASA, d’un article intitulé Cyborgs and space dans la revue Astronautics, portant sur la manière d’adapter les humains à la vie dans l’espace. Deux chercheurs, Nathan Cline, psychiatre et Manfred Clynes, un ingénieur travaillant sur les premières applications des ordinateurs à des systèmes de contrôle biologiques, mettent en scène le cyborg, un humain assez modifié pour être capable de vivre dans l’espace, tout restant humain et soumis à l’Évolution. Avec un point essentiel : les modifications sont susceptibles d’être commandées de l’extérieur. Une composante très contraignante, évidemment problématique du point de vue de l’autonomie des individus, qui s’explique selon MG Pinsart par le contexte de la guerre froide.
- Cyborgs et féminisme. Donna Haraway, figure du féminisme des années 80 a publié le célèbre Manifeste Cyborg, Le cyborg dans cet ouvrage est souvent présenté comme la métaphore d’une dénaturation postmoderne de l’humain. D. Haraway y exprime la volonté d’abolir les distinctions : « C’est elle qui a joué de de la façon la plus originale avec les cyborgs » juge I. Hacking qui précise que l’auteur « a fait de ce terme un nom de code pour la fin des frontières essentielles entre l’homme et la machine, entre l’homme et l’animal, entre l’homme et la femme ».
- Cyborgs et transhumanisme. Dans une troisième déclinaison du cyborg politique, le livre Citizen Cyborg, publié en 2004, par l’auteur James Hughes chef de file d’un « transhumanisme démocratique », soutient à la fois le droit de contrôler son propre corps à l’aide des technologies, et un contrôle démocratique, c’est-à-dire une régulation, une distribution équitable de ces technologies. James Hughes s’attache à démontrer que la solution aux inégalités sociales passe par l’égalité des conditions d’accès aux moyens technologiques. Le projet d’une amélioration des capacités humaines humaines se concrétise alors dans le cyborg.
Cyborg : le projet de science-fiction
En dehors du champ de la politique, la figure de cyborg, comme classique de science-fiction, se distingue de celle d’un l’androïde qui est, lui, totalement artificiel. Le cyborg « résulte de l‘interconnexion d’un être vivant organique et de parties artificielles. Cette hybridation peut être opérées sur d’autres espèces que l’homme, animaux ou extra-terrestres, les cyborgs humains étant cependant majoritaires en fiction » nuance Sylvie Allouche. Si la machine doit agir impérativement en interaction avec le corps vivant, les proportions sont variables. Manfred Clynes aurait d’ailleurs vigoureusement protesté contre la déshumanisation de son concept de cyborg dans les œuvres de science-fiction.
De projet le cyborg est devenu, au 21ème siècle, réalité tant les transformations biomédicales du corps, l’anthropotechnie, sont banalisées. Ian Hacking anticipait il y a plus de dix ans la disparition du cyborg. Figure incontournable la deuxième moitié du XXème siècle, que va devenir le cyborg ? Serait-ce vraiment une fin, ou bien un nouveau départ vers un nouveau monde connecté, entre matériel et virtuel.
Pour aller plus loin:
Ian Hacking. Adieu chers Cyborg. Séminaire Claudine Cohen et Henri Atlan, le 14 février 2005 http://docplayer.fr/10971556-Adieu-cher-cyborgs-1.html
Marie Geneviève Pinsart. Cyborg. Sylvie Allouche. Fiction du futur et anthropotechnologie. InEncyclopédie du trans/posthumanisme. L’humain et ses préfixes. Paris : Vrin 2015.
James Hugues Citizen Cyborg, Why democratic societies must respond to the redesigned human of the futur. Cambridge, Westview Press, 2004.
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